Organique, lumineuse, sauvage et étincelante à la fois, l’écriture de Salonen s’accomplit ici dans l’un de ses cycles les plus exaltant pour l’auditeur.
Flamboiements et murmures
Cet impressionnisme postmoderne ou tout simplement contemporain convoque la pulsation de Stravinsky, l’orgie sonore et flamboyante d’un Strauss, le raffinement instrumental d’un Debussy. Ce qui frappe ensuite c’est surtout l’architecture des parties; un agencement serti dans un flux aux variations constantes, de l’intime à la déflagration, de l’introspection aux rugissements les plus conquérants.
Ecrit pour Leila Josefowicz en 2009, le Concerto pour violon traverse plusieurs climats très caractérisés: pulsionnel, au bord du monologue hystérique (Mirage), énigmatique (II), proche de la transe (III), puis superbement mélancolique portant l’éternel et envoûtant regret d’un monde inaccessible (IV: Adieu). Tout l’univers du magicien Salonen tient dans ce prodigieux foyer primitif où le rythme organique, naturel au corps comme à la respiration, se révèle chorégraphique: pas étonnant que le Concerto soit depuis 2012, détourné par les chorégraphes (dont Peter Martins du NY City Ballet).
Avec Nyx, Salonen opère avec une maestrià supérieur à notre avis, une opération particulière dont il est l’un des rares à maîtriser les champs poétiques et suggestifs pour le grand orchestre: dérouler la notion de temps, élargir celle de l’espace, tout en conservant une science très aiguë de la sonorité, du plan dramaturgique, de l’orchestration.
Comme le récemment créé à Paris Helix, présenté au festival Présences (Châtelet, 2011), l’une des meilleures éditions du Festival de Radio France, Nyx (2010) s’appuie sur un spectre très large de couleurs et de timbres, d’associations et de combinaisons spectaculaires et flamboyantes, révélant toujours intacte cette sensibilité aux atmosphères… Plus que descriptive, la musique exprime l’émergence jusqu’à son point de développement ultime, d’une force primitive que le compositeur aime encore souligner par l’effet saisissant du contraste de la fin: aux tutti spatiaux répond comme une virgule comique et facétieuse, la petite phrase ultime distribué à la flûte: un rien murmuré mais avec quelle élégance et délicatesse contrepointe l’expérience du gigantisme colossal. A la fois déesse de la mort et du sommeil, l’héroïne de la nuit Nyx offre une variété de traversées oniriques et spectaculaires dont la sensualité énigmatique de l’écriture orchestral laisse envisager la permanente activité de métamorphose.
A la tête du Symphonique de la Radio Finlandaise, Salonen dirige comme il respire: tout s’enchaîne avec une grâce enchantée ce qui confère à beaucoup d’épisodes, l’attrait d’une révélation. La violoniste elle aussi porte la beauté stupéfiante de ce disque captivant.
Esa-Pekka Salonen: Concerto pour violon. Nyx. Leila Josefowicz, violon. Finnish Radio Symphony Orchestra. Orchestre symphonique de la Radio Finnoise/Finlandaise. Esa-Pekka Salonen, direction. 1 cd Deutsche Grammophon 00289 479 0628. 48 mn. Enregistré en septembre 2011.