Le 24 décembre vers minuit
Fuyant la Révolution russe, Prokofiev imagine un opéra bouffe dans l’esprit des napolitains, qui sera créé à Chicago en 1921. Anti romantique, l’oeuvre cite avec facétie, l’univers subtil de la farce italienne… dans le style de Jommelli et de Pergolèse.
Le rire médecin,
le rire souverain : pouvons-nous être sauvés par le rire? Au royaume des cartes à jouer, le prince ne peut être guéri que s’il rit…. Lorsque Prokofiev revisite en 1921, la commedia dell’arte sur un livret qu’il a lui-même adapté d’après Gozzi, le compositeur touche ce qui a fait les délices de l’opéra buffa de Pergolèse, Rossini à Donizetti. C’est qu’il atteint cette exquise légèreté qui fait la séduction des comédies sur tréteaux les plus réussies. D’ailleurs, l’écriture de Pulcinella le confirme : Prokofiev apprécie la langue néoclassique, et cette relecture des maîtres anciens, éminents dramaturges italiens, lui donne prétexte à traiter avec génie, la vitalité des effets musicaux, parfaitement dosée, en particulier cette ponctuation rythmique, parfois âpre, qui est l’élément pulsionnel moteur de ses oeuvres. La pulsation, c’est le nerf, comique et sarcastique. L’oeuvre fut dès sa genèse, écrite en français.
A Paris, le spectacle de l’Opéra Bastille, qui ravira les plus jeunes, se distingue grâce à la performance de quelques chanteurs très inspirés : brillent en particulier, Charles Workman (Le Prince) et Barry Banks (Trouffaldino).
Distribution
Opéra en un prologue
et quatre actes (1921)Livret du compositeur
d’après la pièce de Carlo Gozzi,
« L’Amore delle tre melarance »
En langue française
Le Roi de Trèfle, Philippe Rouillon
Le Prince, Charles Workman
La Princesse, Clarice Patricia Fernandez
Léandre, Guillaume Antoine
Trouffaldino, Barry Banks
Pantalon, Jean-Luc Ballestra
Tchélio, Alain Vernhes
Fata Morgana, Béatrice Uria-Manzon
Linette, Letitia Singleton
Nicolette, Natacha Constantin
Ninette, Aleksandra Zamojska
La Cuisinière, Victor von Halem
Farfarello, Antoine Garcin
Sméraldine, Lucia Cirillo
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Direction musicale, Sylvain Cambreling
Mise en scène, Gilbert Deflo
Décors et costumes, William Orlandi
Chorégraphie, Marta Ferri
Lumières, Joël Hourbeigt
Chef des Choeurs, Peter Burian
Approfondir
L’amour des trois oranges est conçu par Prokofiev au moment de sa fuite, hors de la Russie révolutionnaire, en 1918. Lors d’un périple qui le mène du Japon aux Etats-Unis, il échafaude le plan de son opéra post-napolitain, et en propose la création à l’Opéra de Chicago. La création a lieu le 31 décembre 1921 devant un parterre plutôt enthousiaste. Mais lors de la reprise de l’ouvrage à New York, l’audience se montre plutôt froide. Plus tard, comme à son habitude, le compositeur recycle la substance expressive de son opéra, en une suite pour orchestre qui restera un grand succès au concert.
Prokofiev prend prétexte de la drôlerie délirante et bouffe du texte de Gozzi pour traiter la palette des caractères, dans toute l’étendue de la gamme émotionnelle : lyrique, grotesque, pathétique, tragique, sentimentale (duo amoureux du dernier acte)… le compositeur emporte l’ensemble des épisodes avec une dextérité expressive qui cible son objectif car il n’est jamais pesant : plutôt léger, inventif, suggestif. Un prince hypcondriaque, un ministre voué au mal, deux entités magiciennes rivales : Fata Morgana/le mage Tchelio. Le monde du conte est révisité avec une saveur parfois sarcastique et Prokofiev déploie une invention débridée pour chaque tableau.
La production diffusée par France 2
Dans la mise en scène de Gilbert Deflo, chanteurs (et nombreux figurants) expriment le délire buffa et tragique de cette rêverie revistée avec ironie voire cynisme par un Prokofiev inventif. Dans la fosse, la direction et Sylvain Cambreling est nette et précise. Un spectacle pour toute la famille : les personnages de la comédie italienne raviront les plus jeunes, l’ironie décallée des situations satisferont leurs parents. Un régal.
DVD
Kent Nagano, 1989.
« L’Amour des trois oranges » de Serge Prokofiev. Solistes : Gabriel Bacquier, Jean-Luc Viala, Vincent Le Texier, Didier Henry, Georges Gautier, Gregory Reinhart, Michèle Lagrange, Béatrice Uria-Monzon, Jules Bastin, Hélène Perraguin, Catherine Dubosc, Consuelo Caroli, Brigitte Fournier. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Lyon. Direction : Kent Nagano. Mise en scène : Louis Erlo. Production de l’Opéra national de Lyon (1989). Environ 1 heure 45 minutes. DVD Arthaus 100 404.
Un enregistrement exceptionnel sur le plan interprétatif, en outre la réalisation vidéo est spécialement conçue pour l’objet audiovisuel : ni plan fixe ni bruit de salle. Le réalisateur tourne autour des comédiens, suit l’action dans la proximité des acteurs.
Illustration
Tiepolo, Pulcinella