mercredi 23 avril 2025

Serge Prokofiev: Guerre et Paix, 1959 Mezzo, les 25 mars et 4 avril 2008

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Serge Prokofiev

Guerre et Paix
, 1959

Mezzo

Mardi 25 mars 2008 à 17h

Vendredi 4 avril 2008 à 10h


Opéra Bastille, 2000. 3h30mn

L’opéra du retour

C’est l’oeuvre d’un retour au pays, plein d’espoir et d’innocence, de candeur bientôt trompée… Prokofiev (1891-1953) pourtant acclamé dans le monde et en Occident, décide un retour au pays natal en 1936 malgré le régime stalinien. Qu’importe la figure du despote et les inquiétudes exprimées, seul le projet de retrouver terre natale et amis, et de réconcilier peuple, gouvernants, et musique motivent sa décision: il déchantera bien vite (jusqu’à devenir compositeur antipeuple, en 1947, condamné comme Chosta par l’infâme Jdanov). L’opéra Guerre et Paix d’après Tolstoï, porte les idéaux de ce projet bien naïf. L’heure est d’autant plus grave que c’est en 1936 que par un article de téléguidé de la Prvda, Staline faisait interdire l’opéra « Lady Macbeth » de Chostakovitch… lequel ne devait plsu jamais composer d’opéras.
Enfant protégé et génial, sollicité par Diaghilev pour composer des ballets très ryhtmiques, Prokofiev se passionne pour son opéra gigantesque, fruit d’une genèse de 5 années. Si la modernité intéresse une élite occidentale, l’intention du compositeur est de toucher le plus grand nombre d’auditeurs au travers d’un opéra résolument populaire, facilement accessible et compréhensible par les masses. Sensibiliser le peuple avec l’écriture de son temps: voilà un projet esthétique noble et légitime qui peut justifier la décision de Prokofiev, de retour à Moscou. En définitive, il s’agissait de renouveler l’expérience de Tolstoï, auteur pour le peuple, lu par un nombre de pls en plus croissant de lecteurs. Ainsi, en s’inspirant du roman fleuve de l’écrivain russe, Prokofiev emprunte des chemins déjà balisés, exprimant avec un feu communicatif, l’individu et le destin, la passion amoureuse de quelques personnages, et l’histoire collective en marche. L’échelle de l’opéra est vaste: intimiste et sociale, mêlant intrigue amoureuse et souffle patriotique. la violence des sentiments est exacerbée quand il faut démontrer son attachement pour l’être adorée, pour la nation en danger.

Contre la guerre
Si dans la première partie (La paix), l’auteur cible l’insouciance coupable de l’aristocratie russe, en particulier moscovite, face à l’invasion française, le second volet (La guerre), retrouve certains même personnages (au total 72 sur scène!), saisis et emportés dans la tourmente collective. A la manière enjouée du début, répond ici une âpreté à peine voilée, qui flirte parfois avec les dissonances. Comme dans le film cantate Alexandre Nevski, réalisé avec Eisenstein, qui participe avec la seconde épouse du compositeur, Myra Mendelssohn, au livret de l’opéra, Prokofiev dénonce ouvertement les atrocités de la guerre, les faits hideux de la barbarie inhumaine. La figure de Napoléon diffère de l’imagerie d’Epinal à la Française. Tout en respectant l’histoire, Prokofiev privilégie toujours la lecture humaine du drame (duo d’amour embrasé entre le prince André expirant et la belle Natacha). Aux censeurs de Staline, le compositeur avait préparé sa défense: aucune liberté dans la langue musicale puisqu’il reste fidèle à la mélodie et à la tonalité, avec des lignes mélodiques toujours parfaitement identifiables et perceptibles, dans chaque moment clé de l’oeuvre. La partition porte d’autant plus ce patriotisme générique de la culture soviétique qu’elle est écrite en 1941, pendant l’invasion nazie…

La production parisienne de 2000 s’intéresse à un ouvrage fleuve et majeur de l’opéra du XX ème siècle. Produit en création française sur la scène de l’Opéra Bastille, elle sera reprise avec le même éclatant succès en 2005.
Direction enflammée de Gary Bertini, suave et mélodique surtout dans le chapitre « La Paix », (le volet patriotique de « La Guerre » paraît un peu plus tiré par la commande, presque crispé à force d’intentions démonstratives dans l’écriture), mise en scène claire et « architecturée » de Francesca Zambella, qui a cependant tendance à user et abuser des murs coulissants et parois mobiles pour mieux « découper/structurer » le fil narratif et les passages entre les tableaux… mais l’incendie de Moscou saisissant les troupes napoléoniennes est prenant visuellement et d’une pleine efficacité. Certainement inspirés par la direction affûtée et vive de Bertini, comme la valeur singulière de cette fresque historiciste du XXème siècle, les chanteurs se montrent convaincants, chacun dans son personnage ainsi recréé, autant de figures mordantes, sachant affirmer des individualités marquées, dans un chaos collectif qui aurait pu être glouton et écrasant: chaque portrait brossé en quelques touches par un Prokofiev psychologique, est une vraie réussite, conférant à la dynamique du spectacle, sa profondeur, son humanité, surtout dans le premier volet « La Paix ». Tendre et idéaliste Prince André, vieux Bolkonski fantasque et visionnaire, complexe Pierre Bezoukhov (personnage dans lequel Tolstoï avait investi beaucoup de lui-même, Natacha épatante et aussi Napoléon en traits fins sans l’once d’une oeillade caricaturale: la galerie des personnages de cette fresque édifiante à grand spectacle, reste captivante. La réussite de la partition de Prokofiev revient à la sensibilité des portraits ici réunis.


Serge Prokofiev: La Guerre et la paix
. Avec Olga Guryakova, Nathan Gunn, Robert Brubaker, Elena Obraztova, Vassili Gerello, Stefan Margita, Anatoli Kotcherga… Choeur et Orchestre de l’Opéra national de Paris. Gary Bertini, direction. Mise en scène: Francesca Zambello

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