Lyon, Cnsmd
Mercredi 25 mars 2009
Conférence et concert, coordonnés par Anne de Fornel
Comment « les jeunes » voient-ils le parcours de Karlheinz Stockhausen, deux ans après sa disparition ? La soirée de la salle Varèse, avec sa conférence et son concert (5 œuvres de « haute époque », 2 créations-hommages) constitue un moment important de la saison organisée « au Supérieur » et qui met en valeur la musique du très proche hier et d’aujourd’hui.
Je suis une force qui va
Karlheinz Stockhausen, fils spirituel de la démesure wagnérienne ? Comme il n’aurait sans doute pas aimé ce rattachement ! Mais comme l’hypothèse n’en est pas absurde ! Et de l’expérimentation à spectre large de Beethoven ? Oui, pourquoi pas ? Donc doublement héritier d’une culture musicale « allemande » … Après tout le compositeur de l’avant-garde darmstadtienne et du Studio électronique de Cologne, d’abord descendant de l’Ecole de Vienne, s’est bien tourné vers des concepts d’œuvre d’art total (gesamtkunstwerk), finissant entre opéra mystique et extension à l’infini du Temps. Ce n’était certes pas chez lui l’espoir de refonder la supériorité de la culture allemande pour un « siècle de plus » – cette naïveté dodécaphoniste d’un Schoenberg, si cruellement démentie par le crime nazi -, mais une tranquille certitude – incarnée sans aucun nationalisme culturel, et dans la confiance exacerbée de soi – d’un « je ne cherche pas, je trouve ». Ou si on se réfère à la France du XIXe, d’être comme le héros hugolien « une force qui va ». C’est aussi, en refusant les séductions individualistes de la psychologie émotive (celle du lied et de l’opéra), la tension vers une « organisation totale de la matière sonore », qui mélange donc l’instrumentation « traditionnelle », le son électronique, le rapport au corps dans la danse, l’ironie d’un théâtre musical, et bientôt l’insertion de l’aléatoire. Tout cela peut s’inscrire dans un espace gigantesque, nouveau territoire auquel la pensée assigne seule ses frontières, ce que disent aussi très tôt les Hymnen, recyclage grandiose des « cocoricos » nationaux. On y perçoit ce que Claude Rostand appelait « la période narcissique, où (KH.S) se met lui-même dans sa musique en toute intimité intellectuelle et même physique, avec une subjectivité qui va jusqu’à l’impudeur, voire la mégalomanie. »
Licht und klang
Ainsi le compositeur compagnon de route d’un Pierre Boulez à l’aube des années 50, poursuivant de façon complètement originale l’héritage post-sériel, se retrouvera-t-il peu à peu traçant ses propres chemins, et comme dirait Alfred de Vigny : « puissant et solitaire » en sa création. Le plus remarquable sera sans doute alors l’accentuation d’une tendance à ce qu’on pourrait appeler le mysticisme cosmique, et que des œuvres –au sens plein du terme – brasseront en forme et cadre d’opéras sacrés, ramenant la Tétralogie du Ring au rang de mini-toy-model spatio-temporel. En témoignera, au sommet de la voûte céleste, Licht (Lumière) brillant sur 28 heures pour les 7 jours de la Semaine ; mais il y aura aussi des cycles de mois, de saisons, et pour finir (mais celui-là n’aura pas été vraiment terminé), de sons (Klange) dans les heures, elles-mêmes affectées de titres conceptuels (Ascension, Joie…).Et à la rubrique des deux infinis, donc du côté du ciron pascalien (la plus minuscule unité observable selon les Pensées de Blaise), on eût rencontré le cycle des minutes et celui des secondes. On se retournera aussi vers une géante ¨Plaisanterie Musicale » que pour le 75e anniversaire de KH.S. un milliardaire avait permis de réaliser dans le Hangar 7 de…Salzbourg, un « Quatuor à cordes Hélicoptère », en songeant que deux siècles et deux décennies plus tôt l’archevêque Colloredo aurait fait donner pour bien moins la fessée au petit Mozart… Sans oublier le malentendu-dérapage qu’avait laissé passer le Maître à propos des « opera diabolica in Twin-Towers » et de leur contenu esthétisant du 11 septembre. Puis le compositeur partit « par la Porte du Ciel écrire au Paradis dans l’Harmonie Eternelle » (selon le faire-part envoyé en 2007 par la Fondation-Stockhausen).
Les jeunes devant la statue du Commandeur
Loin et foin de ces rituels ou orgies sonoro-spatiales, comment Karlheinz peut-il apparaître en histoire de la musique in progress pour des jeunes musiciens en formation supérieure ? C’est le sens de la très intéressante et significative initiative d’Anne de Formel, pianiste CNSM (classe de Pierre Pontier), suscitant et coordonnant les efforts d’hommage et de travail de terrain. Bien sûr, c’est en retour vers les « modestes » œuvres de KHS. 1ère période, composées pour les bons vieux pianos, autres instruments de la tradition et percussions, que jeunes et enthousiastes interprètes se tournent pour leur concert. Au programme, Kreuzspiel, Kontra-Punkte, Vibra Elufa, et dans les mythiques Klavierstücke pour piano, les IX et XI qui ont ouvert au milieu des années 50 un monde fou de réflexion et de beauté sonores. La soirée –d’accès libre, soulignons-le en ces temps de budgets-loisirs culturels comprimés pour individualités et familles – accroît son intérêt d’une jolie diversité dans la planète-Stockhausen : 5 œuvres du Maître, avant tout, et aussi 2 créations-hommages, de Michel Mathias et Jean-Yves Bosseur (par le Trio Steuermann, les pianistes Florian Puddu et Justine Leroux, les percussionnistes et autres instrumentistes dirigés par Jean Geoffroy et Fabrice Pierre). Une conférence d’Emmanuel Ducreux et Jean-Yves Bosseur (lui-même également auteur de livres sur la musique, le Temps, la peinture et les arts du XXe-XXIe) préfacera cette importante soirée sur le thème de « Stockhausen et l’esprit d’invention ».
Lyon. Cnsmd, salle Varèse. Mercredi 25 mars 2009, 18h (conférence), 20h30 (concert). Hommage à Karheinz Stockhausen ( 1928-2007). Kreuzspie, Kontra-Punkte, Vibra Elufa, Klavierstücke IX et XI. Créations de Michel Mathias, Jean-Yves Bosseur. Entrée libre. Information et réservation : T. 04 72 19 26 26 ; www.cnsmd-lyon.fr »