jeudi 24 avril 2025

Strasbourg. Aula du Palais Universitaire, le 19 novembre 2008. Beethoven, Tchaïkovski, Schubert… Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Michael Sanderling, direction

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Des Sons en communion
La vie est parfois faite de ces petits riens qui au final donnent les plus grands bonheurs. Comme par exemple un concert plein de ferveur dans un écrin de rêve entre le pourpre et l’or d’une salle majestueuse aux colonnades à perte de vue. C’est peu en apparence mais quand la magie opère, il en devient presque inoubliable.

Rendez-vous avec l’Histoire
Depuis quelques années maintenant l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, à l’initiative de l’Université Marc Bloch, prend une fois par an ses quartiers dans l’enceinte du magnifique Palais Universitaire le temps d’un concert. Dans le but d’offrir à ce public estudiantin un accès au meilleur de la musique symphonique. Avec un succès qui ne s’est jamais démenti.
« Sans musique la vie serait une erreur » disait Friedrich Nietzsche dans son Crépuscule des idoles. Reprendre son propos est souvent galvaudé, mais dans un pareil cas cette phrase est éclatante de vérité. Il suffisait pour s’en convaincre de voir le bonheur, l’enthousiasme et l’émerveillement sur ce millier de visages d’étudiants venu à la rencontre à la découverte d’un art qui parfois leur semble inaccessible.
On ne saurait relater un tel concert sans évoquer au moins brièvement le Palais Universitaire. Véritable temple à la gloire des Sciences Humaines, son architecture monumentale est inspirée de la Renaissance italienne. Edifié en 1879, il est sûrement le plus précieux témoignage de la nouvelle ville voulu par les Prussiens du temps de leur présence entre 1870 et 1918. Lieu ô combien chargé en histoire et en souvenirs qui a vu passer dans ses couloirs les illustres Albert Schweitzer et autres Marc Bloch. La première session du Conseil de l’Europe se tint d’ailleurs du 10 août au 8 septembre 1949 dans l’Aula du Palais Universitaire.
Des petites rivières naissent de grands fleuves dit-on, ce soir là n’en doutons pas c’est le long du Pactole que semblait voguer l’OPS tant le contentement de ce juvénile public augmenta visiblement à mesure que le concert avançait.

Un Sanderling peut en cacher un autre
Dans la famille Sanderling on connaissait le père, l’illustre Kurt, son non moins talentueux fils aîné Thomas. Voici maintenant le petit dernier, Michael. A l’image de son père, Michael Sanderling s’est fait un nom à Berlin où il est Chef principal du Deutsches Kammerorchester. Michael Sanderling qui a derrière lui une belle carrière de violoncelliste est un de ces jeunes chefs ambitieux dont l’OPS s’est fait un des promoteurs en les invitants régulièrement à son pupitre. Encore une initiative à saluer.

Le feu de Sanderling
Les Créatures de Prométhée, op. 43 (Die Geschöpfe des Prometheus), choix audacieux que celui de l’OPS pour entamer un concert destiné à un public en théorie non averti mais qui se révéla payant. Composé entre 1800 et 1801, cet unique ballet de Beethoven (1770-1827) tomba dans l’oubli après le succès de sa création : en effet Beethoven ne l’appréciait pas. On ne joue guère plus que la seule l’ouverture de cette œuvre dont l’argument faisait référence au mythe de Prométhée : après avoir dérobé le feu aux dieux, il s’en était servi pour animer deux statues en argile qu’il avait modelées.
Ce soir là le feu sacré avait était volé par Michael Sanderling tant ces Créatures semblaient presque vivantes et animées. Nous l’avons déjà dit, l’OPS est de coutume très à l’aise dans ce genre répertoire, comme tout orchestre de tradition allemande. Le XIXème siècle lui va si bien ! Ses cordes peuvent alors laisser libre cours à leurs épanchements et régaler nos oreilles.

Ugorski simple soliste
Du courage et du talent, le jeune Eugène Ugorski en a assurément à revendre. Mais on ne saurait demander à un si jeune soliste – 18 ans à peine – de naviguer dans les mêmes eaux que les références du genre. Et encore moins dans une œuvre aussi jouée que le concerto pour violon de Tchaïkovski (1840-1893).
Il en faut donc du cran, pour venir sur une scène et se lancer dans une telle œuvre et se prêter ainsi au jeu des comparaisons. Ugorski ne semble pas avoir froid aux yeux. En bon prodige après ses débuts à six ans, il brûla toutes les étapes et commença à jouer accompagné d’un orchestre à seulement huit ans. On vous laisse deviner la suite de l’histoire. Depuis il se produit régulièrement avec des formations et des chefs reconnus dont l’immense Valery Gergiev. Sous sa direction il interpréta notamment ce même concerto pour violon de Tchaïkovski.
Le concerto pour violon en ré majeur op. 35 composé en mars 1878, à l’instar du premier concerto pour piano du même compositeur, est une œuvre d’une rare virtuosité, une véritable épreuve du feu pour tout violoniste russe qui se respecte. Il doit apprendre à dompter ce concerto avant de pouvoir se sentir un soliste à part entière. Rejoignant ainsi la même caste que ses illustres prédécesseurs, les grands David Oistrakh, Jascha Heifetz et, plus proche de nous, Vadim Repin. Eugène Ugorski nous a montré ce soir là qu’il portait cet idéal. Nous souhaitons avec lui que sa volonté et son talent le mènent sur le même chemin qu’ont emprunté avant lui ceux que nous admirons le plus.

Plutôt Beethoven ou plutôt Schubert ?
C’est la question que l’on pouvait se poser à l’issue de cette deuxième partie de concert qui affichait à son programme la sixième symphonie en ut majeur D. 589 de Franz Schubert (1797-1828). Ecrite entre octobre 1817 et février 1818, elle est surnommée la Petite en ut majeur, par opposition à la Grande symphonie en ut majeur qu’elle préfigure déjà. Sûrement la moins connue des symphonies du Viennois, son écriture se ressent de l’influence de Beethoven dont Schubert était un admirateur. Sanderling, sans doute soucieux de rester fidèle à cette réalité, nous gratifia de ce qui ressembla par moment à la première symphonie de Beethoven. Il nous manqua Schubert ! Cette musique effrénée de la vie, de cette existence qui file à toute allure comme les grains d’un sablier qui pour Schubert comme pour nous tous cessera un jour de s’égrener.

Bonheur partagé
Bien sûr on trouvera toujours à redire sur une telle soirée. Du violoniste qui dans son numéro de funambule fut souvent à la limite de la justesse, de l’acoustique du palais universitaire qui était loin d’être idéale. Mais dans le fond tout cela nous sembla presque secondaire. En guise de bis, Michael Sanderling choisit de rester dans Schubert avec l’Ouverture de Rosamunde (composée en 1823). Trop de Schubert tue Schubert ? Pas avec Michael Sanderling semble-t-il. Bien au contraire, après la parfois sage sixième symphonie, notre intérêt redoubla soudain pour finir en enthousiasme devant ce qui à nos yeux fut le couronnement de cette soirée qui restera comme un trop rare moment de communion entre un public et son orchestre.
Vivement l’édition 2009 !

Strasbourg. Aula du Palais Universitaire, Mercredi 19 novembre 2008. Beethoven ; Les Créatures de Prométhée, ouverture en ut majeur,
opus.43. Tchaïkovski ; Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, opus 35. Schubert ; Symphonie n°6, en ut majeur, D.589. Eugène Ugorski, violon. Orchestre philharmonique de Strasbourg. Michael Sanderling, direction

Illustrations: Michael Sanderling, Eugène Ugorski (DR)

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