Amicalement vôtre
Amicalement vôtre ? A la lecture de ce titre, plus d’un a dû repenser à cette fameuse série des années 70 où l’on voyait sur nos écrans le tandem Brett Sinclair-Danny Wilde à l’action. Deux gentlemen réunis pour la bonne cause. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce nouveau concert de l’OPS nous en offrit une nouvelle mouture. Avec Jonathan Darlington dans le rôle du chef dandy aux manières les plus élégantes qui soient et Truls Mørk jouant les musiciens de choc et de charme. Le tout pour notre plus grand bonheur bien évidemment.
Le feu sous la glace
Est-il encore bien utile de présenter le Norvégien Truls Mørk, un géant de notre temps dans tous les sens du terme. Poids lourd tant par son physique qui en impose que par ses enregistrements qui recèlent quelques jalons parmi les plus appréciables dans le répertoire du violoncelle. Mais Mørk c’est surtout une bête de scène comme il existe peu à l’heure actuelle.
Parmi ses enregistrements, on se souvient en particulier du Concerto pour violoncelle d’Elgar, de la Sonate pour violoncelle de Grieg et bien évidemment des Suites pour violoncelle, que ce soient celles de Bach et surtout, dirons-nous, celles de Britten. ll est aussi le dédicataire d’œuvres contemporaines comme celles d’Aaron Jay Kernis et il a créé le concerto pour violoncelle de Lasse Thoresen en novembre dernier. Son instrument : un Domenico Montagnana de 1723.
Le choc par Chostakovitch
Le Concerto n° 1 pour violoncelle et orchestre de Dimitri Chostakovitch a été créé en 1959, l’année de sa composition, par Mstislav Rostropovitch qui lui doit en grande partie sa renommée. Ses quatre mouvements sont très caractérisés : thème âpre du premier mouvement, lyrisme du deuxième, méditation du troisième et pour finir un allegro qui donne tout son sens aux mouvements précédents et dont le violoncelle sort victorieux.
Difficile donc pour tout violoncelliste d’échapper à l’ombre toujours présente du grand Mstislav. Mais la peur de la comparaison ne semble pas être un sentiment connu de Truls Mørk, tant il semblait s’affranchir de tout héritage. Démontrant au contraire une farouche volonté de s’approprier cette œuvre qui n’a rien perdu de son âpreté.
Au-delà de l’aspect musical proche de l’excellence, Truls Mørk à la scène, c’est un spectacle qui n’a nul autre équivalent. Une course folle d’un homme et d’un violoncelle, lancés à corps perdu à toute allure, où chacun des coups d’archet serait comme autant de coups de cravache. De l’avant, encore et toujours. Et soudain la folle parenthèse laisse place à l’extase méditative, au chant du violoncelle que l’on croirait tout droit sorti de la plus noire des pénombres.
Hypnotisé, l’OPS et son chef d’un soir n’avaient plus qu’à se laisser porter par les gestes du divin Norvégien.
Euphorique, sous le choc de ce qu’il venait d’entendre, le public applaudit à tout rompre le violoncelliste Justice fut faite et bien faite !
Strasbourg-sur-Tamise
D’après Elgar lui-même, les Variations « Enigma » représentent « la solitude de l’artiste créateur » et recèlent un thème caché qui n’est pas une de ses moindres énigmes. Les Variations ont connu un succès immédiat puisque, depuis leur création en 1899, elles ont été successivement jouées par Weingartner, Toscanini, Rachmaninov et même par Mahler. Leur beauté parlante et leur perfection sensible ont su séduire tant le public que les chefs d’orchestre.
Pour Jonathan Darlington, ces Variations n’ont rien d’une énigme. En tout bon britannique qu’il est, Elgar fait partie de ses « humanités ». Biberonnée au lait d’Elgar, l’OPS ne le fut pas si souvent et pourtant… Strasbourg la rhénane fit taire ses racines et s’ouvrit, le temps des ces quinze mouvements, aux brumes si caractéristiques des bords de la Tamise. Une acclimatation des plus satisfaisantes dont tout le crédit revient sans nul doute au sémillant Darlington, à la direction élégante et aux manières tout droit venues de la gentry qui rallièrent bien des suffrages. On rappellera au passage que Jonathan Darlington, né en Angleterre en 1956, est depuis 2002 à la tête l’orchestre philharmonique de Duisburg en Allemagne tout en étant directeur musical de l’opéra de Vancouver au Canada. Il a dirigé nombre d’opéras (Eugène Onéguine, Ariane à Naxos, etc.) et Chostakovitch, Jolivet ou Dvořák figurent dans sa discographie.
Retour au climat français
On connaît le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy (1862-1918), véritable réponse en son temps au Tristan et Isolde de Wagner. Mais le natif de Saint-Germain-en-Laye ne fut pas le seul à exploiter le drame de Maurice Maeterlinck : son devancier Gabriel Fauré (1845-1924) donna une suite d’orchestre pleine de délicatesse, composée en 1898 à l’occasion d’une représentation en anglais de la pièce. Elle fait partie du petit nombre de ses œuvres pour orchestre ; parmi ses cinq mouvements, la Sicilienne a connu un grand succès puisqu’on en connaît de nombreux arrangements, notamment pour flûte et piano. On retrouve dans ce Pelléas la pureté des miniatures auxquelles l’orchestre a su insuffler la chaleur humaine pour insuffler à chaque mouvement son atmosphère propre à Fauré, en particulier au dernier mouvement tragique de la Mort de Mélisande.
Fauré nous a fait revenir à nos cieux familiers après un voyage au pays de Chostakovitch et d’Elgar sous les auspices si souvent fulgurants de Truls Mørk et de Jonathan Darlington, nos guides d’un soir.
Strasbourg. Palais de la musique et des congrès, salle Erasme Jeudi 5 Février 2009. Fauré ; Pelléas et Mélisande, musique de scène, opus 80. Chostakovitch ; Concerto n° 1 pour violoncelle et orchestre, en mi bémol majeur, opus 107. Elgar : Variations sur un thème original Enigma, opus 36. Truls Mork, violoncelle. Orchestre philharmonique de Strasbourg. Jonathan Darlington, direction
Illustrations: Jonathan Darlington, Truls Mork (DR)