jeudi 24 avril 2025

Strasbourg. Palais de la musique et des congrès, salle Erasme. Mercredi 11 février 2009. Haendel ; Acis et Galatée. Gabrieli Consort & Players. Paul McCreesh, direction

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Il est de coutume maintenant que l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, une fois l’an, invite une formation dite « baroque » le temps d’un concert. L’année passée, pour notre plus grand malheur musical, Philip Pickett s’était livré, disons le clairement, à un massacre en règle de deux des plus grands chefs d’œuvres de Jean Sébastien Bach, à savoir les oratorios de Pâques et de l’Ascension. Qu’allait-t-il en être cette année de Paul Mc Creesh et de son Gabrieli Consort & Players dans Acis et Galatée de Georg Friedrich Haendel (1685 – 1759) donné à l’occasion des 250 ans de la mort du compositeur ? L’OPS allait-il avoir affaire à une main plus heureuse ?


La bonne parole musicale

Nos doutes furent très vite levés. Il faut dire que Paul McCreesh (né en 1960) est un chef qui depuis 1982, date de fondation de son Gabrieli Consort & Players, est devenu un des plus éminents représentants de la scène baroque britannique et européenne. Pourtant Paul McCreesh lui aussi est comme Pickett adepte d’une musique réduite à sa simple expression, en se tenant à de stricts principes musicologiques – extrémisme diront même certains. Considérant s’approcher de la vérité en exécutant une œuvre par une formation à un seul chœur comprenant un soliste par partie et un orchestre lui aussi réduit au strict minimum. Nous ferons fi de toutes querelles de clocher et autres chapelles musicologiques. D’autant qu’à titre personnel quand la musique prend une dimension telle que ce soir là, avec une audace et dynamisme de chaque instant, ne nous pouvons qu’y adhérer. Où est donc la différence entre un Philip Pickett et un Paul McCreesh me direz-vous ? De la vie, de l’élan et un zeste de joie de vivre dans la direction qui transforme une sinfonia toute simple comme celle qui ouvre Acis Et Galatée en quelques minutes de pur bonheur musical, comme si la sève de la partition parvenait à nos oreilles.


Quand la mythologie ne laisse pas de marbre

Dans la filiation directe des Métamorphoses, long poème épique d’Ovide (43 avant J.-C.-17 après J.-C.), la légende d’Acis et Galatée a été une source d’inspiration pour plus d’un compositeur à l’époque baroque, en ces temps où la mythologie était un des rares supports de livret pour la musique vocale.
Haendel ne fit pas exception à la règle ; très tôt déjà il fut séduit par l’intrigue sur laquelle il composa un thème donnant lieu à une sérénade que l’on peut qualifier d’œuvre de jeunesse. Il faut attendre le séjour en Angleterre de Haendel (de 1710 à sa mort en 1759) pour qu’il compose un nouvel Acis et Galatée sous forme cette fois-ci d’un petit opéra pastoral ou masque, le tout en deux actes.
Après avoir prêché la bonne parole de l’opéra italien sur le sol anglais, à commencer bien sûr par Londres, Haendel se retira de 1717 à 1719 à Cannons, résidence du comte de Carnavon, futur duc de Chandos (sic…un nom que tous les mélomanes connaissent !). Là, jouissant de tout le confort et de la liberté nécessaire à son travail, il se lance dans la composition de ses premiers oratorios en langue vernaculaire, ce sera d’abord Esther, puis Acis and Galatea en mai 1718. En faisant le choix de se fondre dans cette tradition du masque, Haendel va non seulement renouveler le genre mais tout simplement réinventer l’opéra anglais, mêlant à la quintessence de l’esprit britannique les scintillements de l’âme italienne.
Un mot tout de même sur le synopsis de l’œuvre avant d’aller plus au fond des choses. Une histoire d’amour et de jalousie comme la musique et l’opéra les aiment tant : le jeune Acis, fils du dieu Pan et de Symaethis, aime Galatée, fille du dieu marin Nérée, qui l’aime en retour. Le cyclope Polyphème, jaloux de Galatée, tue Acis en l’écrasant sous un rocher. Fermez le rideau. Vous l’aurez compris, tout est là pour faire un beau drame sur fond d’amourette divine.


Un élan instrumental…

Une belle histoire c’est une chose, autant fallait-il que ses acteurs en soient à la hauteur.
Orchestralement, c’est par un rythme soutenu que Paul McCreesh choisit d’accompagner la joie du couple mythique d’Acis et Galatée folâtrant dans les champs : donnant l’impression que tout n’est qu’alors que légèreté, gaieté, insouciance et tourbillons passionnés. Bref, que l’amour durerait toujours sans que rien ne puisse venir l’entraver. Mais c’était sans compter sans la haine, la jalousie et la rancune macérée de Polyphème parfaitement reflétée par les couleurs devenues d’un coup sombres sous la baguette du chef. La formation de poche qu’est le Gabrieli Consort de McCreesh sied idéalement à ce genre d’opéra « chambriste ».


…qui en écho ne trouva qu’un retrait vocal

Si orchestralement Paul McCreesh et son Gabrieli Consort & Players furent comme on pouvait s’y attendre presque parfaits, toujours dans le ton juste et dans la suggestion permanente, on ne peut pas en dire autant du plateau vocal. Où étaient donc passés les grands chanteurs britanniques ce soir-là ? Pourtant le royaume de sa Gracieuse Majesté n’en manque pas en ce moment : Sarah Connolly, Julia Gooding, Camilla Tilling, Paul Agnew, Robyn Blaze, Michael Chance, Peter Harvey, Mark Padmore pour ne citer qu’eux. De ce naufrage vocal collectif, nous ne sauverons que Mhairi Lawson qui fut une très belle Galatée.

Nous n’accablerons pas plus le quatuor vocal masculin, sûrement dans un mauvais soir, au cours d’une tournée qui doit être éprouvante pour leur voix. A charge de revanche serait-on tenté de dire. Car le talent d’un James Gilchrist ou d’un Alan Ewing n’est plus à démontrer. Mais quel dommage tout de même que l’allégresse et les déclarations des deux amants se ternirent dès le chœur d’ouverture. Le tout n’allant que de mal en pis. Que dire de la seconde partie ? Que de regrets là aussi. De l’annonce de la venue du méchant Polyphème au paroxysme de la mort d’Acis, ce ne fut qu’une succession d’airs et de chœurs, superbes certes, mais chantés mécaniquement. Sans la moindre tension dramatique et sans cette tristesse qui ne devrait cesser de monter pour finir par envahir la scène à la mort du héros foudroyé en pleine idylle. Les pleurs de Galatée auraient presque pu être les nôtres…
Pour Paul McCreesh et sa muse Galatée.

Strasbourg. Palais de la musique et des congrès, salle Erasme. Mercredi 11 février 2009. Haendel ; Acis et Galatée, masque en deux actes, HWV 49 a. Mhairi Lawson, soprano (Galatée). James Gilchrist, ténor (Acis). Alan Ewing, basse (Polyphemus). Jeremy Budd (Coridon), Hurndall Smith, ténor (Damon). Gabrieli Consort & Players. Paul McCreesh, direction

Illustrations: Georg Friedrich Haendel, Paul McCreesh, Acis et Galatée par Nicolas Poussin (DR)

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