Qui a peur d’Hugh Wolff ?
Hugh qui ? « Ce soir, nous allons au concert, c’est Hugh Wolff qui dirigera. » Presque immanquablement, votre interlocuteur vous regardera étonné. Il faudra que vous esquissiez la carrière du chef que si peu connaissent. Américain, né à Paris en 1953, il est chef associé à Washington, au National Symphony Orchestra que dirige alors Msistlav Rostropovitch ; il collabore ensuite avec l’orchestre de chambre de Saint Paul et devient en 1997 le chef principal de l’orchestre radio-symphonique de Francfort avec lequel il enregistre notamment des symphonies peu connues de George Antheil. Vous étonnerez aussi votre interlocuteur en lui rappelant que Hugh Wolff a enregistré avec Hilary Hahn le concerto pour violon de Barber.
Nous allons donc au concert sans savoir exactement à quoi nous attendre. Et voici sur le plateau un homme parfois tatillon qui dirige sans partition du bout de son interminable baguette. Ses gestes sont parfois caricaturaux, étonnants, ils prêtent par moment presque à rire, mais qu’est-ce que vous entendez ? Voici une précision inattendue, voici le talent, quelque chose s’éclaire sous sa direction.
« Une irrésistible envie de vivre »
La soirée fut tout un programme, d’ailleurs présenté sous le titre « Une irrésistible envie de vivre ». En 1799 Beethoven termine sa première symphonie dans l’esprit de Mozart et de Haydn mais en modifiant les principes classiques et en libérant des sonorités nouvelles et inattendues. C’est ce même esprit novateur que le Danois Carl Nielsen met en œuvre dans sa quatrième symphonie « L’Inextinguible » qui s’élève contre les extravagances de la Première Guerre mondiale. Une guerre plus tard, Dimitri Chostakovitch prend des poèmes populaires juifs en nous faisant entendre la tristesse, l’humour et l’espoir, malgré le destin tragique du peuple qui les chantait.
La soirée s’ouvre donc par la première symphonie de Beethoven. Vous avez certes à l’esprit ce qu’ont pu faire Paavo Järvi ou Giovanni Antonini qui déploient un Beethoven flamboyant. Ici, c’est tout autre chose : une symphonie très libre, transparente, pleine de tact, une symphonie jouée avec rapidité mais sans jamais aucune mais brutalité, une symphonie parfois un brin rêveuse dirigée par un esprit mozartien. Une symphonie qui n’innove sans doute pas l’interprétation que nous lui en connaissons déjà mais qui sonne toujours juste en nous faisant entendre le souffle même du compositeur.
Chostokovitch folklorique
Les Onze poèmes populaires juifs de Chostakovitch ne comptent pas parmi ses œuvres les plus connues. Le ténor Hubert Delamboye a forcé l’attention de son auditoire par sa présence. Son air bonhomme en rajoutait certes mais sa voix nous transporta dans ce monde populaire si particulier. Œuvre peu connue qui donne envie de l’entendre à nouveau, une découverte comme on en fait rarement lors d’un concert. Le premier violon Evelyne Alliaume a été de bout en bout remarquable lors de ses interventions en soliste et c’est avec grand plaisir que la salle a vu une des chanteuses lui remettre un bouquet.
Nielsen si souvent oublié enfin retrouvé

Nous sommes donc allés au concert. Nous en sommes ressortis d’autant plus impressionnés que nous n’en avions pas attendu tant à notre entrée dans la salle. Merci à Hugh Wolff, et merci encore à Sandrine François !
Strasbourg. Palais de la musique et des congrès, salle Erasme. Vendredi 9 janvier 2008. Beethoven ; Symphonie n°1 en ut majeur, opus 21. Chostakovitch ; Onze poèmes populaires juifs, opus 79a, cycle vocal pour orchestre et voix. Nielsen ; Symphonie n° 4, L’Inextinguible, opus 29. Melanie Diener soprano, Daniela Sindram alto, Hubert Delamboye ténor. Orchestre philharmonique de Strasbourg. Hugh Wolff, direction.
Illustration: Hugh Wolff © F.Hulsbrohmer,Carl Nielsen (DR)