jeudi 24 avril 2025

Strasbourg. Palais de la Musique, le 5 décembre 2008. Martinu, Mémorial pour Lidice H.296. Brahms, Ein Deutsches Requiem. Landshamer, Gerhaher. Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Marc Albrecht, direction

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« Nous n’avons ici aucune cité durable »
selon Brahms et selon Martinů

Il est des œuvres qui touchent le cœur des hommes comme peu savent le faire. Elles donnent lieu à des instants d’une rare intensité, mêlant une impression de temps suspendu à un parfum d’éternité. Un Requiem Allemand de Johannes Brahms (1833-1897) est assurément une d’elles. Un requiem « humain », c’est ainsi que Brahms qualifiait son œuvre la plus charismatique. La légende voudrait même qu’il eût préféré ce nom à celui sous lequel nous le connaissons, requiem « allemand » parce que son texte est tiré de la Bible traduite par Martin Luther.

La mort consolée

« Et dire que Brahms était athée ! » serait-on tenté de dire en entendant autant de ferveur dans une partition. Et pourtant, à y regarder de plus près, on se rend vite compte qu’il n’est pas besoin de croire pour être capable des plus grands élans mystiques. Cerné par la mort, celle de sa mère et celle de Robert Schumann en 1856 dont il restera orphelin à jamais, Brahms relève le défi de sa vie quand il rédige lui-même le livret d’Ein deutsches Requiem entre 1865 et 1868. C’est cette œuvre qui le tirera de sa détresse et le consolera de tous ses deuils, qu’ils soient familiaux, amicaux et mêmes intimes – on pense à l’amour impossible pour Clara Schumann. Véritable quête, ce requiem répond à un besoin, à une urgence.
Requiem sans rédemption où chaque syllabe compte, Brahms y fait sentir de façon presque tangible la grandeur de la langue allemande comme en leur temps Heinrich Schütz et avant lui Martin Luther qui défendaient les langues vernaculaires dans la musique et dans le culte.
Marc Albrecht a choisi de donner une version allégée de l’œuvre en la débarrassant de toute pesanteur héritée d’une tradition qui pourrait presque nous en faire oublier le véritable caractère. Ce choix a sans doute dû dérouter plus d’un auditeur. Il est vrai que c’est presque la quadrature du cercle de vouloir en rendre à la fois la finesse et la légèreté mais aussi la solennité et la puissance. Ce que nous avons entendu ce soir-là prouve une fois de plus que ce choix est non seulement pertinent mais qu’il est exaltant. Le chœur joue un rôle décisif dans ce requiem : Denn alles Fleisch, es ist wie Gras (car toute chair est comme l’herbe) résonne dans l’oreille de chaque mélomane. Le chœur de l’OPS n’est pas un chœur de professionnels, on le remarquait par quelques imperfections qui étaient cependant compensées par un souci de prononcer avec expressivité le texte allemand, si important dans cette œuvre. Même s’il a pu arriver au chœur d’être en retrait de sa terrible tâche, ce qui nous a finalement convaincu, c’est la concentration et la ferveur de Marc Albrecht à la tête de son orchestre, de même que le chant des solistes, celui de Christina Landshamer, par exemple dans la cinquième partie Ihr habt nun Traurigkeit (vous êtes maintenant dans l’affliction), et celui de Christian Gerhaher qui retentit seul à la sixième partie – Dann wird erfüllet werden das Wort, das geschrieben stehet (alors s’accomplira la parole de l’écriture) à quoi le chœur répond Der Tod ist verschlungen in den Sieg (la mort est engloutie dans la victoire). Nous avons ce soir-là entendu Un Requiem allemand qui s’adressait à l’humanité tout entière, un Brahms fait non pas pour impressionner mais pour parler simplement à chacun de nous.

Une ode pour un village martyr

Lidice ou Mémorial pour Lidice (H. 296) semble prolonger le mot qui ouvre la sixième partie d’Un Requiem allemand : Denn wir haben hier keine bleibende Statt (car nous n’avons ici aucune cité durable) puisque Bohuslav Martinů (1890-1959) composa cette œuvre symphonique pour commémorer le massacre du village de Lidice en représailles à l’assassinat de Reinhard Heydrich, « Protecteur » de Bohème-Moravie. C’est Artur Rodziński à la tête de l’Orchestre philharmonique de New York qui créa l’œuvre en un seul mouvement le 28 octobre 1943. Martinů y a recours au thème du destin qu’il reprend de la cinquième symphonie de Beethoven et qui symbolise ici la résistance contre l’envahisseur. L’œuvre de Martinů est un adagio de 9 minutes environ dont Marc Albrecht a modelé efficacement les différents moments en la tissant peu à peu comme une méditation qui prendrait progressivement corps : nous avons pu entendre dans cette ode funèbre une sorte de Dies irae profane.
La soirée sous le signe de la mort a rempli ses promesses : et la musique et l’interprétation ont apporté l’humanité là où sans elles régnerait la désolation. Soirée consolatrice s’il en fut, soirée dont nous pouvons une fois de plus remercier Marc Albrecht et son orchestre.

Strasbourg. Palais de la Musique et des Congrès, Salle Erasme, le 5 décembre 2008. Bohuslav Martinů (1890-1959), Mémorial pour Lidice H.296. Johannes Brahms (1833-1897), Ein Deutsches Requiem. Soprano, Christina Landshamer. Baryton, Christian Gerhaher. Chœur de
l’OPS, chef de chœur, Catherine Bolzinger. Orchestre Philharmonique de
Strasbourg. Marc Albrecht
, direction

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