Orchestre à la fête
Strasbourg en fête ! Du 14 au 23 novembre à l’occasion de la
manifestation « Orchestre en fête », la ville pullula, le temps d’une
semaine, de concerts de toute sorte. Avec cette volonté affichée depuis
quelques années de la part de l’orchestre strasbourgeois d’aller à la
rencontre de tous les publics, initiés ou pas.
A la portée de tous
C’est dans cet esprit là que se déroula ce concert un peu particulier,
car il était avant tout destiné aux comités d’entreprise des environs.
Information anodine en apparence mais qui en dit long sur la
démocratisation de la musique classique dont l’OPS est un des fers de
lance. Cela fut à n’en pas douter pour le plus grand plaisir de ce
public sûrement peu habitué des grandes salles de concert. Rien ne fut
laissé au hasard pour le mettre à l’aise. Du choix de la salle du
Palais des fêtes, volontairement plus réduite, pour rendre plus proche
un répertoire savamment choisi, spectaculaire et enchanteur à la fois.
Souci du détail encore avec en guise d’introduction à chaque œuvre, le
très érudit Stéphane Friédérich, musicologue de son état, qui venait
expliquer la genèse et la signification de ces compositions à «
programme » ou à coloration particulière, le tout avec une rare
pédagogie. On ne peut que se féliciter de l’initiative d’une telle
représentation. L’OPS prêchant « la bonne parole » guidé en cela par
jeune chef au talent prometteur.
Jakub Hrůša, enfant de Bohême
Jakub Hrůša, encore un nom dont on parlera dans les années à venir. Du
haut de ses vingt sept ans (né en 1981), ce natif de Brno aux allures
de gendre idéal a vraiment tout pour plaire. Ancien élève de
l’excellent Jiří Bělohlávek, il est un pur produit de la grande école
tchèque de direction qui offrit aux mélomanes que nous sommes les
prestigieux Václav Talich, Karel Ančerl, Václav Neumann, Charles
Mackerras ou bien encore Václav Smetáček. Hrusa ne refuse pas ce lourd
héritage, bien au contraire, il s’en veut le garant et le dépositaire.
Celui qui le gardera intact avant de le transmettre à son tour. On sent
bien couler dans ses veines le même sang que Smetana ou Janáček, le
sang de ceux qui sont fiers de la nation et de la culture tchèque, qui
offriront leur vie pour l’exalter.
Smetana à l’honneur
C’est donc une musique vibrante, patriotique, à fleur de peau que Hrůša
nous livra. Reflet des préoccupations nationales de ce XIXème siècle où
l’Europe, et en particulier les pays de l’Est, se cherchaient une
identité que la musique leur offrait.
Bedřich Smetana (1824-1884) qui fut le père de ce romantisme musical
tchèque était fort logiquement à l’honneur de cette soirée avec en
guise de prélude à chacune des parties du concert des pages
orchestrales tirées de son opéra La Fiancée vendue, ainsi que Šárka,
l’un des six poèmes symphoniques qui composent Ma Vlast.
Šárka, c’est l’histoire est une cruelle héroïne tchèque, avide de
vengeance après un amour déçu qui a provoqué chez elle une haine féroce
contre tous les hommes au point de les massacrer. Derrière ce récit
folklorique, Šárka évoque avant tout la sauvagerie de la terre tchèque,
mais c’est bien sûr la fureur de tout un peuple placé sous le joug
austro-hongrois qui ressort, de ce peuple qui n’aspire qu’à faire
sauter ses chaînes et retrouver sa liberté.
En digne enfant de la terre de Moravie, Hrůša fit étalage de sa science
et de sa connaissance de ce répertoire qui lui sied si bien. Chef à la
maturité précoce, on senti en Jakub Hrůša une sérénité et une
détermination à toute épreuve. Face à une telle débauche d’énergie –
impressionnante même – l’orchestre électrisé ne pouvait pas être en
reste. L’OPS répondu pied à pied au défi musical et physique que lui
lança son chef d’un soir. Si l’orchestre était en fête, les cordes en
tête ; les cuivres eux étaient de sortie pour une véritable
démonstration. Tendance qui ne fit que se confirmer par la suite.
Wieniawski le virtuose oublié

pays mais les mêmes préoccupations avec le polonais Henryk Wieniawski
(1835-1880) et son 2ème concerto pour violon. Composition influencée
par Niccolò Paganini et Henri Vieuxtemps dont Wieniawski sera le
successeur à la tête de l’école franco-belge de violon, Wieniawski
achève en 1870 ce qui est considéré comme sa partition la plus achevée.
Longtemps laissé à l’abandon du fait des difficultés techniques qu’il
pose à son interprète, ce concerto dut attendre la deuxième moitié du
XXème siècle pour retrouver le haut de l’affiche et l’intérêt du public
qui aime en lui ses couleurs slaves et ses thèmes populaires polonais.
Compositeur et violoniste virtuose lui-même, Wieniawski souhaitait être
une école de l’excellence. Toute sa vie il se fit le promoteur de cette
musique d’exception dont seuls les très grands interprètes savent tirer
la quintessence. Assurément Ilya Gringolts est de ceux-là.
Qu’il en a fait du chemin l’ancien protégé Yitzhak Perlman à la
Juilliard School de New-York. On avait apprécié ses premiers exploits
dans la musique de chambre de Taneyev (un disque DG), le revoici
aguerri et fort de l’expérience acquise au fil des années. Derrière son
apparence austère, Gringolts cultive une rigueur de chaque instant
qu’il sait mettre au service de son art. Son jeu sans effets de manche
gratuits et superflus témoigne d’un grand respect pour la musique qu’il
interprète. Le 2ème concerto pour violon de Wieniawski ne fit pas
exception. On peut bien sûr penser qu’un tel jeu manque d’éclat et de
velouté, mais ce qu’on perd là est largement compensé par la justesse
et la technique.
L‘oiseau qui brillait de mille feux
Après la tradition, place fut faite à la modernité avec l’Oiseau de feu
d’Igor Stravinsky (1882-1971). On devine ici aisément la dimension
ludique qui consiste à offrir au spectateur un large éventail musical
en prenant bien soin de commencer par les sonorités smetaniennes pour
tranquillement glisser vers le modernisme et le véritable choc qu’est
la musique de Stravinsky. Comme un fil d’Ariane à portée l’auditeur.
L’Oiseau de feu, ici dans sa version de 1919, c’est la « Schéhérazade »
de Stravinsky. Tout y est luxe, calme, et volupté sonore. Véritable
préfiguration de ce que sera le Sacre du printemps quelques années plus
tard. Premier grand ballet du musicien, cet oiseau le rendit célèbre du
jour au lendemain.
Dans cette courte mais puissante et incandescente partition, les
pupitres claquaient comme jamais, brulaient même. L’OPS toutes voiles
dehors, impressionna son monde par une telle débauche, celle là même
qui fait l’essence de l’œuvre. Stravinsky en concert c’est toujours un
spectacle à couper le souffle. Mais quand l’orchestre est en très
grande forme cela tournerait presque à l’orgie sonore. Pour notre plus
grand plaisir en tout cas !
Un concert qui en mit plein les oreilles des initiés comme des novices,
tous réunis par une même ferveur communiquée par les musiciens.
Enfin pour ceux qui souhaiteraient découvrir davantage le talent du
prometteur de Jakub Hrůša, je leur signale la sortie d’un disque
Janáček (1854–1928) chez Supraphon (référence SU3923)
Strasbourg. Palais des fêtes. Vendredi 14 novembre 2008. Smetana: La Fiancée vendue, ouverture et trois danses; Sarka, extrait de Ma Vlast (Ma Patrie). Wieniawski : Concerto pour violon et orchestre n°2, en ré mineur, opus 22. Stravinsky: L’Oiseau de Feu, suite (version 1919). Ilya Gringolts, violon. Orchestre philharmonique de Strasbourg. Jakub Hrůša, direction
Illustrations: Jakub Hrusa, Henryck Wieniawski (DR)