Suzanne Giraud
Caravaggio
création
Metz, Opéra Théâtre
Les 6 et 8 avril 2012
Création mondiale
Orchestre Les Siècles
François-Xavier Roth, direction
Avec Philippe Jaroussky, Maria Riccarda Wesseling, Alain Buet…
Opéra en quatre actes. Livret de Dominique Fernandez d’après son roman La Course à l’Abîme
Voix et instruments baroques (discordantes, acides, provocatrices… à l’image des toiles du peintres?), mêlées aux couleurs modernes… le nouvel opéra de Suzanne Giraud s’intéresse à la figure fantasque, géniale, dérangeante du peintre Caravage. A Rome, à l’extrême fin du XVIè, accompagnant l’aube baroque, Caravage révolutionne l’art pictural: avec lui, le réalisme et l’individu prennent possession de l’espace; ni paysagiste, ni peintre d’histoire, Caravage affectionne le portrait et les types humains; ses allégories comme ses drames sacrés sont d’abord une introspection au fond de l’âme humaine… Ses scènes sont intérieures et extérieures; leur climat surprend, déconcerte, bouleverse.
Ce choc visuel et psychologique, Suzanne Giraud l’a éprouvé à Rome, quand elle était pensionnaire de la Villa Medicis de 1984 à 1986; l’idée d’écrire un opéra s’est précisé ensuite avec l’écrivain Dominique Fernandez, auteur d’une biographie romancée mais très documentée, dédiée au peintre aventurier, homosexuel, fugitif, peintre exceptionnel: la Course à l’abîme (Grasset, 2003). L’auteur y dépeint a contrario des idées reçues, un peintre intellectuel très cultivé qui approfondit en étroite concertation avec ses commanditaires, chaque nouvelle toile. De fait, ses Christ, ses Madeleine, ses Vierge n’ont jamais paru plus humains, proches, vivants. L’ombre et la lumière étaient ses pôles d’excellence: Caravage a maîtrisé comme nul autre avant lui, l’art si délicat du clair-obscur et fait jaillir du spirituel dans l’art.
Imaginer donc un nouvel opéra d’après la fiction biographique éditée est un événement prometteur, d’autant plus pertinent sur une personnalité, obsédée par les visages humains et leur réalisme pictural, dont on ne connaît finalement que très peu de choses…
Réinventer Caravage
Qu’en sera-t-il à Metz où l’opéra en création est joué sans mise en scène? Le spectacle sera pour autant bien visuel: Suzanne Giraud entend représenter sur la scène ces mêmes instruments baroques que le peintre a si scrupuleusement dépeints dans ses tableaux (le jouer de luth, l’Amour vainqueur, le Concert…): « faire sortir le son des tableaux »; l’écriture de l’opéra Caravaggio devrait aussi renouveler notre approche de l’écriture contrapuntique ancienne, du jeu sur instruments d’époque (« voix pures », « instruments peu vibrés »), dont l’esthétique sonore (recherche d’une fusion harmonique) se rapproche de la technique spectrale.. qui en serait comme un prolongement actuel. L’équilibre voix et instrument permet une projection naturel du verbe et du son car jamais dans ce dispositif repensé, la voix n’est couverte par l’orchestre: c’est donc un travail spécifique sur le relief intimiste, et l’acuité sonore. En refusant le pastiche et la reconstitution, préférant d’emblée une récréation vivante de l’esthétique baroque, Suzanne Giraud pourrait bien nous offrir l’un de ses ouvrages lyriques les plus captivants…
Sur la scène messine, le contre ténor Philippe Jaroussky incarne le peintre: voix tendre et juvénile, artificielle mais caressante, parfois maniérée… pour incarner un peintre entier, anticonformiste, brutal voire meurtrier: pourquoi pas…; Mais on demande à voir et juger sur pièce. Le réalisme sans maquillage du Caravage peut-il trouver sa voix naturelle dans un chant souvent contorsionné voire sophistiqué? Pour Suzanne Giraud, il s’agit surtout de retrouver dans la couleur du timbre, cette essence qui dérange et qui provoque… Le chanteur devait tenir le rôle de l’ange dans Le Vase de Parfums, opéra précédent de Suzanne Giraud (2004), un rôle qu’il ne put réaliser en définitive. Aux côtés de Philippe Jaroussky: le ténor Anders J. Dahlin, la mezzo-soprano Maria Riccarda Wesseling (qui incarne tour à tour, les deux profils de prostituées dans la Rome du Caravage: l’altière courtisane, et la putain des rues dont le peintre fut un protecteur et le portraitiste attentionné), le baryton Alain Buet et la basse Luc Bertin-Hugault. Au total, selon la narration du livre de Dominique Fernandez très étroitement associé à la réalisation du projet, 21 séquences, chacune reliée à un épisode de la vie du peintre et aussi au sujet de l’un de ses tableaux. (chaque toile devrait être projeté pendant la création). Figure permanente auprès de l’artiste, son double, Cecco Boneri, assistant historique qui fut son compagnon, son disciple et son modèle (l’Amour vainqueur?) mais aussi un profiteur peu scrupuleux…
