Sviatoslav Richter, piano
Collection 2007 « Richter the master » (Decca)
S’il est bien un pianiste qui eut toujours l’intelligence du concert, innovant pour son public, se risquant sans faiblir grâce à une technique infaillible, servant la musique avec un tempérament original, rompant avec toutes les traditions et les habitudes, son nom est bien celui de Sviatoslav Richter. Mort à 82 ans dans sa datcha de Moscou, d’une crise cardiaque, le 1er août 1997, le pianiste russe nous laisse en inconsolables orphelins mais héritiers d’un patrimoine d’enregistrements dont Decca, pour les 10 ans de sa disparition, nous livre quelques joyaux indispensables. Au total 10 volumes de 2 cd chacun. A paraître jusqu’au mois de janvier 2008. Au sein d’une discographie éclectique, dont il est reste diffiicle de distinguer le bon du « moins bon », la collection Decca s’affirme honnêtement, qui plus est, à petit prix, offrant plusieurs témoignages « live » particulièrement convaincants. Le grand Richter est bien là, saisi sur le vif car le pianiste, qui n’aimait pas vraiment le studio, demeure le plus grand prodige du concert. C’est la raison pour laquelle, un public toujours très nombreux, mordu autant que fasciné, suivait l’interprète dans chaque lieu, parfois reculé, qu’il avait choisi d’investir pour y donner un récital.
Ludwig van Beethoven
(1991, 1992)
Volume 1.
L’assise de ses Beethoven frappe par son incise qui porte la véhémence d’un regard sans hésitation. Jeu déterminé, parfois carré, vitalité des contrastes, étagement supérieur grâce à un souffle qui révèle le maître d’une temporalité libre et assurée. C’est puissant et sensible comme une sculpture de Michel-Ange. Son professeur à Moscou Heinrich Neuhaus a parfaitement saisi le caractère à la fois simple, épuré et distancié de son approche des partitions, leur conférant un souffle inégalé: Richter jouait l’oeuvre comme s’il traversait un paysage mais en le contemplant, en en ayant sa vision à la fois particulière et globale, comme un aigle observant à bonne distance vallons et cimes, scrutant l’infiniment grand comme l’infiniment petit. Aux côtés des Sonates « faciles » des opus 49 et 54 (en deux mouvements), Richter aborde l’Appassionata que son fort tempérament, analyse avec une éloquence implaccable et une inspiration qui semble avoir traversé le miroir. Le cd2 correspond au récital, également tardif, donné à Ludwigsburg: même retenue, même approfondissement poétique ne s’autorisant aucun effet virtuose: une maîtrise et une intensité intérieure, à couper le souffle, grâce à un toucher saisissant de nuances piano…
Wolfgang Amadeus Mozart
(1966, 1991)
Volume 2.
La tradition critique boude les Mozart de Richter. Encore une inepsie qui montre qu’il faut toujours savoir réécouter les oeuvres sans préjugés. Là encore, la certitude et l’éloquence sont deux valeurs déployées avec toute l’agilité acrobatique dont est capable le bouillonnant poète du clavier. Tout coule de source, avec un plaisir malicieux et électrisant. Et si le masque des courtoisies sucrées met en avant le Mozart perruqué en son temps, Richter sait aussi exprimer la profonde solitude de l’homme confronté à lui-même, convoqué à l’annonce de sa mort… comme s’il se remémorait d’énigmatiques et secrètes pensées, surgies de ténèbres insoupçonnés (Fantasia en ut mineur K457). Magistral.
Scriabine/Prokofiev/Chostakovitch
(1993,1963)
Volume 3.
En terre russe, le jeu véhément et palpitant de Richter détonne incontestablement par sa hauteur, sa vision, son recul proche du sublime. Toujours maître du temps et des nuances infiniment ciselées, le pianiste se montre doué de toutes les magies sonores, autant vraies, profondes que séduisantes. La clarté de la structure polyphonique, transcendée par le tranchant des accents font un miracle de chaque partition. Voici l’architecte et l’alchimiste de la forme, capable de couler toute musique en or vibratile. Le jeu laisse entendre l’infini des oeuvres. Le grand Richter est là: puissant, inaltéré, inépuisable; confondant de justesse et d’esprit. Ses Scriabine sont des errances hallucinées, flottantes comme la brume irrisée des paysages de Caspar Friedrich. Ses Prokofiev sont tissés d’inquiétude lyrique et de visions non moins enivrantes.
Ludwig van Beethoven
(1986, 1992, 1993)
Volume 4.
En plus des Sonates et des Rondos, le coffret offre un Richter chambriste, en compagnie du Quintette Moraguès (Quintette en mi bémol majeur) et du Quatuor Borodine (L’Archiduc). L’intensité partagée et dialoguée, la science de chaque intonation, ces éclairages constants vers l’intimité et la sensibilité se montrent fascinants. La complicité entre chaque instrumentiste est tactile, totalement euphorisante.
Franz Schubert
(1979)
Volume 5.
Encore un sommet de la discographie… de Richter et de Schubert. On a souvent loué le balancement hypnotique des Sonates Schubertiennes. Comme autant de dialogues intérieurs, les Sonates captées ici en 1979 tracent l’itinéraire du Wanderer, voyageur égaré, perdu entre deux mondes, celui du rêve et celui de la conscience. Le délire de l’interprète qui s’approprie totalement les oeuvres, se détache cependant de toute virtuosité personnelle. La musique, rien que le chant mystérieux et obsédant de la musique. Magistral.
Haydn/Beethoven/Weber
(1963, 1993)
Volume 6.
Tout l’engagement de Richter, en cela diamétralement opposé au style détaché d’un Serkin par exemple, se dévoile ici. Richter nous parle la langue de Haydn comme s’il l’avait toujours pratiqué: invention, liberté, structure… et naturel. Identique sens de l’implication dans Weber. Quant à ses Beethoven, il sont prodigieux là encore d’articulation, de respiration, de clarté, de visions magistralement habitées.
Télévision
L’hommage d’Arte: « Richter l’Insoumis« . Quelques mois avant sa disparition, le
réalisateur Bruno Monsaingeon, auteur d’un biographie et de
conversations avec Richter (Van de Velde), filme le documentaire
intitulé « Richter l’insoumis« . Outre les dons musicaux du pianiste hors
pair, le documentaire de presque 2h30mn, brosse aussi le portrait d’un
témoin affûté de son époque… Arte diffuse en deux parties ce
documentaire capital, les dimanches 4 août à 9h50, puis 12 août 2007 à
10h30. Incontournable.