lundi 21 avril 2025

The « Jessye Norman collection »(1),premier cycle de 5 rééditions des enregistrements essentiels

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Philips comble notre attente. Voici cinq premiers albums pour satisfaire notre envie de Jessye… Puisque cinq autres recueils tout autant nécessaires sont annoncés sous peu.
Les premiers titres de la « Jessye Norman collection » couvrent plusieurs années d’un chant marqué par la grâce et le style. Quoiqu’on puisse lui reprocher dans l’application ou la sophistication, la cantatrice excelle à exprimer le lyrisme tendre des textes grâce à un sens du phrasé, de la diction, sa maîtrise de la ligne. Voix exceptionnelle au timbre éclatant, Jessye Norman est surtout une actrice, au dramatisme intensément humain. Elle le prouve dans ce premier ensemble de rééditions : l’art de la diction, l’écoute des climats de chaque poème, l’exigence dans l’articulation de la langue (allemand et français, deux idiomes qui sont un défi pour la chanteuse américaine) dévoilent l’engagement et la valeur de l’interprète.

Philips nous régale en rééditant cinq premier doubles albums qui couvrent 21 années miraculeuses. Des lieder de Schubert abordés avec la complicité de Phillip Moll en 1971, à la Jocaste enivrante de l’Oedipus Rex, enregistré sous la baguette de Seiji Osawa, en 1992. Présentation de cet événement discographique du mois de juin 2006.

1. Lieder : Schubert, 1984 + Mahler, 1971.
Traversée dans les univers extatiques des poèmes du romantisme sombre et léthal, signés Goethe, Marianne von Willemer, Claudius, Mayrhofer… D’un Schubert grave, hanté par l’esprit du gouffre, Jessye Norman exprime la lenteur incantatoire en prenant appui sur les sublimes images des poèmes. Mais elle se montre tout autant habitée dans les lieder de Mahler : la voix sculpte les mots, entame une guirlande d’émotions retenues, sublimées par la beauté du timbre (ceux de Rückert par exemple). Tragédienne sur la scène lyrique, Jessye convainc de la même manière dans la miniature intimisme du lied : climats agités traversés par l’inquiétude ou pacifiés par l’esprit de l’insouciance, des Rückert-lieder (2 cds Philips 475 6392).

2. Mélodies Françaises (1979) + Berlioz, Nuits d’été. Ravel, Shéhérazade (1976)
N’oublions pas : Jessye fut notre Marseillaise pour le Bicentenaire
de la Révolution. Mais ici, avant la force du chant patriotique, la voix déploie une palette de nuances attendries dans l’articulation intérieure des poèmes, de Théophile Gautier (les Nuits d’été) et de Tristan Klingsor (Shéhérazade). Même éclat ciselé dans le moule de l’élégance, et marqué par le sens de la distinction suggestive chez Duparc (Phidylé), quand les chemins de l’Amour de Poulenc, d’après Jean Anouilh, expriment de leur côté, une distance poétique, une errance tissée d’amertume et de lyrisme éperdu (2 cds Philips 475 6380).

3.
Spirituals (1978) + Schubert, Gounod, Franck, chants sacrés (1981)
La ferveur de la jeune soprano, élevée au sein d’une famille pieuse américaine, qui a très tôt révélé sa passion du chant quand elle interprétait les « spirituals« , délivre ici sa prière musicale qui mêle chants sacrés classiques, de l’ave maria paradisiaque de Schubert au sanctus triomphal de Gounod. Certes l’accompagnement frôle parfois un maquillage hors sujet, défaillance du goût que le chant sait en revanche, éviter. Les Spirituals quant à eux permettent aux Ambrosian Singers et à la soliste de relire plusieurs pages, dans de nouveaux arrangements (belle sobriété de There is a balm in Gilead). 2 cds Philps 475 6386.

4. Richard Strauss : lieder avec orchestre (1982) + accompagnés au piano (1985)
Ce coffret est peut-être le plus indispensable des cinq, si l’on devait choisir par obligation. L’assise imprécatoire de la chanteuse des spirituals, se fait ici instrument d’une somptueuse intelligence poétique. La santé du souffle, l’attention aux moindres sentiments écrits expriment pleinement la riche texture littéraire des poèmes abordés. Que les Quatre derniers lieder restent pour l’éternité, l’une des réalisations les plus convaincantes de Jessye n’étonne plus. Au feu sacré de la chanteuse, répond l’embrasement de l’orchestre de Gewandhaus de Leipzig amplifié/sculpté par maître Kurt Masur. Mais sur le ruban du piano (Geoffroy Parsons), le timbre somptueux fait tout autant merveille. Miniature et fresque : tout est d’un inoublialble accomplissement. D’autant que l’on peut entendre l’authentique dernier lied de Strauss, « Malven » (Mauves), écrit en novembre 1948 et généreusement rendu accessible par la Fondation Pierpont Morgan pour cet enregistrement (2 cds Philips 475 6377).

5. Schoenberg, Erwartung (1990) + Stravinsky, Oedipus rex (1992)

Monologue terrifiant d’une âme terrifiée, et même inconsolable, Erwartung d’Arnold Schönberg (1909) offre un rôle taillé pour l’expressionnisme vocal de la cantatrice. Jessye articule, suit la progression de cette ample lamento, entrecoupé, hâché par la vision et la sensation des Ténèbres. Plus loin, en 1927, nous voici dans un monde pareillement halluciné. Oedipus Rex de Stravinsky est un autre espace de fin du monde, un cérémoniel -ici, monumental- qui annonce la fin des hommes. L’oeuvre est la seconde borne qui indique, aux côtés d’Erwartung, les horizons ultimes du répertoire de la tragédienne Norman. Sur un livret de Cocteau, l’Antiquité convoquée par le compositeur est exsangue : Thèbes la noble et fière cité, est infestée par l’épidémie de peste. Le lieu des désolations, de la mort et de l’horreur. Autour de la soprano, en dépit d’un Peter Shreier dans le rôle-titre, un peu fatigué, le Créon de Bryn Terfel exige le nom de l’assassin de Laios, tandis que l’oracle Tiresias accuse Oedipus Rex : « le Roi a tué le Roi ». Et quand paraît la divine Jessye, en Reine Jocaste, d’une noblesse impériale, soudain le marbre grec palpite d’une chaleur et d’un feu proprement renversants : elle est à la fois prêtresse, femme blessée, épouse aveugle. La version dvd est également publiée, mais avec Philip Langridge en Œdipe. Cd et dvd sont complémentaires pour qui veut mesurer la présence vocale et scénique de la Diva (2 cds Philips 475 6395).

Voilà une somptueuse récolte qui devrait nous faire patienter jusqu’au second sycle discographique dont la date de distribution en France reste incertaine.

Crédit photographique : © Carol Friedman

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