Dans son Journal écrit de 1912 à 1923, Théodore Dubois prolonge une expérience littéraire amorcée par ses Souvenirs de ma vie (révélés aussi par le Centre de musique romantique française en 2008. Lire notre présentation en fin d’article). Il s’agit bien dans l’écriture d’un acte de compensation voire de revanche car celui qui fut une autorité musicale majeure, du Second Empire à la IIIème République, malgré toute ses tentatives pour être joué et reconnu, reste de son vivant et à l’heure de son journal, un compositeur totalement incompris (voire déprécié).
Le Journal de Dubois
Catalogué académique, donc rasoir et décoratif, l’auteur du fameux Traité d’harmonie se dévoile ici davantage encore que dans le précédent opus écrit à la première personne. Un auteur intègre, sincère, droit, sans calcul ni complaisance qui sert avant toute chose cet idéal classique d’autant plus incompris qu’au moment des Debussy, Ravel, Debussy, il sonne désormais dépassé. Or c’est justement au début du XXè que Dubois a tout loisir de composer, offrant d’ailleurs ses oeuvres les plus inspirées en particulièrement dans le domaine de la musique de chambre.
Une oeuvre résume tout le style de Dubois à ce titre, son Quintette pour piano dont l’adagio en particulier avait marqué les spectateurs du Festival vénitien (vidéo: voir le Quintette pour piano de Théodore Dubois présenté lors du festival Théodore Dubois et l’art officiel, mai 2012). Raffinement des passages harmoniques; clarté, équilibre, cohérence de la structure, sensibilité naturelle, suave, et simple, l’Adagio pourrait être l’emblème du meilleur Dubois, très injustement écarté;… pourtant d’une remarquable inspiration.
Les 11 années ici traversées par un homme mûr, qui a passé son heure et même, a le sentiment de vivre sa mort de son vivant (selon ses propres mots), sont d’un immense apport. En particulier pour notre connaissance d’une période où la haine de l’Allemagne et le ressentiment antiboch va croissant en particulier depuis les années 1870. A l’époque de la guerre 1914-1918, Dubois témoigne d’une position patriotique renforcée que consolident encore ses convictions plutôt conservatrices et traditionnalistes.
D’ailleurs, en octobre 1919, au moment où le concours de Rome reprend (après 4 ans d’interruption), Dubois rédige une note dénonçant la dérive des jugements dont les délibérations ne savent plus reconnaître la valeur strictement technique des jeunes compositeurs; après la guerre qui marque évidemment une rupture, le monde de Dubois appartient bel et bien au passé mais son intuition et sa fine compréhension des enjeux et évolutions esthétiques qui se jouent alors, apportent un éclairage qui est loin d’être anodin.
En lui se cristallise l’incompréhension totale vis à vis d’un style classique qu’on a appelé pompier et académique sans guère apporter de réponses ni de nuances; passéiste, conservateur, antiallemand… tout a été dit sur l’homme et le musicien comme pour mieux… l’expédier.
Le texte du Journal, mis en perspective avec les Souvenirs défait tout cela, identifiant les justes apports d’un compositeur au style impeccable et parfois très inspiré: en complément des oeuvres programmées par le festival vénitien d’avril et mai 2012 dont les révélations majeures restent: la Symphonie Française (très européenne et franckiste), la Messe Pontificale, ou les Trio n°2 et le Quintette pour piano, reconnaissons aussi au Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française, d’avoir pleinement réussi la réhabilitation annoncée: plusieurs disques ont appuyé également avec les mêmes arguments, la juste reconnaissance de Dubois: l’oratorio Le Paradis Perdu qui aux oreilles objectives révèle un maître de l’élégance musicale; comme les oeuvres concertantes avec violoncelle ou l‘Ouverture Frithiof, témoignant d’un tempérament dramatique superbement doué. La parution du Journal complète le portrait d’un Dubois infiniment attachant.
Admirateur de Bach (il joue avec son épouse pianiste le Clavier bien tempéré), de Brahms (en pionnier, Dubois comprend l’originalité des Symphonies), mais aussi de Mendelssohn et Schumann, le compositeur académicien dit aussi ce qu’il doit à Saint-Saëns, D’Indy et Franck.
La réalité comme toujours est plus subtile et complexe que les écrits voudraient nous le faire accroire: Théodore Dubois est bien un homme de son époque, marqué par une carrière officielle épanouie mais un destin de compositeur malheureux voire amer; celui qui conservateur semble dépassé par les Ravel et Stravinsky, accompagne comme Richard Strauss, la fin d’un monde et d’une culture. Le choc éprouvé par la barbarie de la guerre et les paysages de destruction totale, colorent évidemment sa pensée, d’autant plus distanciée au terme de son existence. Il s’agit ici d’un expérience finement livrée: dans l’écriture au jour le jour, se précisent l’acuité critique de « l’homme du passé », les espoirs du compositeur incompris, le témoin toujours passionnant des événements historiques qui ont fait la grande guerre. C’est aussi un profil artistique déterminé et particulièrement synthétique à son époque. Captivant.
Théodore Dubois: Journal (24 août 1912-23 décembre 1923). Présenté et annoté par Charlotte Segond-Genovesi et Alexandre Dratwicki. Editions Symétrie Palazzetto Bru Zane. Publié en juin 2012. ISBN: 978 2 914373 79 1. 357 pages.
Théodore Dubois révélé
Le
14 avril 2012, le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique
française ressuscite le fleuron de la musique de chambre composé par
Théodore Dubois: le Quintette pour piano en fa
mineur (1905) par le Quatuor Ardeo et David Violi, piano. La
partition ainsi dévoilée, pièce maîtresse dans l’écriture chambriste du
compositeur, confirme l’inspiration délectable d’un maître des passages
harmoniques, du raffinement, des mélodies riches et intérieures, d’une
simplicité classique, à la fois lumineuse et équilibrée. Clip vidéo spécial: intégralité de l’Adagio non troppo
Théodore Dubois: Souvenirs de ma vie

les mots du musicien veulent ici témoigner, non séduire, ni convaincre,
surtout pas rédiger sa propre mythologie musicale (quitte à maquiller
ou idéaliser). Ce qui prime ici c’est la prose modeste mais directe et
franche surtout sincère d’un homme de bon sens, qui ne manque pas de
discernement, d’abord sur lui-même. « Écrits au courant de la plume,
les Souvenirs de ma vie ne visent en aucune façon à la recherche, à
l’élégance du style. Ils racontent simplement, comme on parle, la vie
d’un petit paysan que les circonstances, le travail, la volonté, ont peu
à peu transformé... » (Rosnay, août 1912). Comme c’est le cas des
lettres de Rabaud, jeune pensionnaire de la Villa Médicis, en publiant
ses lettres à Halévy et d’Ollone, Symétrie publie dans ce volume un
nouveau corpus de manuscrits autographes signés de Théodore Dubois (1837-1924). En lire +