mardi 22 avril 2025

Titien, Vénus avec un organiste

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Pour la gloire de Charles Quint
En décembre 1847, Titien travaille à Rome pour apprendre des Antiquités. L’étude de la sculpture et des monuments de l’antique capitale impériale lui permet de perfectionner son art, déjà grand. Pour le peintre, fidèle serviteur de la gloire des Habsbourg, rien ne saurait être suffisant pour peindre les mérites du plus grand souverain de l’heure.
Titien imagine pour Charles Quint un nouveau sujet, « une figure de Vénus » dont les divines proportions sauront glorifier le prestige de celui à qui elle est destinée. De fait, le nouveau tableau doit être prêt quand l’Empereur, présidera à Ausgbourg, la Diète réunie en grand apparat, après la victoire remportée à Mühlberg le 18 janvier 1547, sur les troupes protestantes de la ligue de Smalkalde.

Du nu féminin
Charles Quint ne goûta guère les charmes de la belle alanguie, lui préférant l' »Ecce homo » (aujourd’hui au Prado) que le peintre lui offre en même temps. En réalité, Titien fut plus fidèle à lui-même qu’au goût de son impérial patron : le thème du nu féminin accompagne toute sa carrière. Depuis la Vénus de Dresde, peinte en collaboration avec son confrère Giorgione, celle dite d’Urbin (1538), jusqu’à sa Danée (1550, également au Prado). La brosse semble interroger l’architecture du corps féminin comme une illustration de l’harmonie divine. Cet idéal des proportions renvoyant contradictoirement à sa plasticité sensuelle, à une contemplation d’ordre mystique et spirituel. Le beau corps suscite méditation et contemplation sur la Nature, de même qu’accordé à la musique, soit un organiste soit, comme dans d’autres versions du thème, un luthiste, le sujet exprime l’accord spirituel qui unit les figures représentées.
On sait que la résonance musicale a été utilisée par Titien pour exprimer de façon allusive, le thème d’une secrète complicité (Triple portrait ou concert).
Si l’Empereur Habsbourg délaisse volontiers les sujets profanes et érotiques, une riche clientèle se fait bientôt connaître qui se délecte dans la contemplation des nus avec musiciens. Le nombre des versions sur ce thème, aujourd’hui connues, révèle l’engouement du sujet mi sensuel mi spirituel, aux références néoplatoniciennes et humanistes très complexes. D’ailleurs le peintre aura l’occasion d’approfondir encore sa fibre érotique lorsqu’après l’abdication de Charles Quint, il travaillera pour son fils, Philippe II.

L’art d’accorder musique et peinture
Même s’il est aidé par de nombreux aides et assistants, le peintre façonne une composition très élaborée qui porte la marque de son génie : paysage déjà romantique au fond, parfaitement mis en perspective avec son rideau d’arbres scrupuleusement alignés ; jardin d’amour et sa fontaine ; parapet séparant la scène principale : un jeune organiste commente en musique l’objet de sa contemplation. Il s’agit donc d’une fusion des modes perceptifs. Tous les sens sont ici suggérés : vue, ouïe, et presque toucher, tant, toute la science de la brosse et du chromatisme appelle la caresse…, le contact comme la proximité du pied de la femme avec le jeune homme tend à rompre la distanciation entre un simple mortel et Vénus.

La signification amoureuse et érotique est d ‘autant plus évidente que la belle, ici étendue, semble recueillir les conseils de Cupidon, lui-même amoureusement enlacé à l’épaule de la déesse. Le corps mûr à peine idéalisé de la femme, est une symphonie de courbes et de contre courbes, encore haussée par l’éclat et le bouillonnement des drapés, du lit et de la tenture qui enveloppe ce corps convoité.
Le paysage lui-même exprime un état harmonique, celui d’une nature idyllique d’essence arcadienne : âne ou faon paissant, fontaine au satyre au vase jaillissant, cerf couché, et même couple enlacé … Le mouvement de l’organiste symbolise ce vertige de la langueur qui semble emporter tout le tableau.
Vision romantique et d’une incitation sensuelle à laquelle répond l’expertise de la palette des couleurs : tons chauds et profonds, ocres et ors, rouges carminés, lumineux et chatoyants. Voici la grande leçon picturale de Titien, divin accordeur de la musique et de la peinture. Les tuyaux de l’instrument répondent en écho à la rangée des arbres. Sous l’emprise des sens galvanisés par la beauté de Vénus, se cache un ordre parfait. Cette harmonie, à la fois musique et contemplation, est rendue explicite par l’art d’un peintre exceptionnel.
Après lui, Rubens et Watteau sauront recueillir l’enseignement de leur « maître ».

Illustrations
Titien, Vénus avec un organiste et cupidon (Madrid, musée du Prado)

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