lundi 21 avril 2025

Titien,peintre symphoniste

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Le musée du Luxembourg célèbre, jusqu’au 21 janvier 2007, l’art du Titien portraitiste. Or vénitien, successeur du style de Bellini et de son codisciple Giorgione, le peintre qui demeure le plus grand artiste de son temps, trouve sa manière propre grâce à une palette chromatique exceptionnelle. Un peintre symphoniste, en quelque sorte, précisément chambriste dont nous analysons la sensibilité dans l’une de ses toiles, à la fois portrait et scène de genre, au sujet musical…

Préliminaires
Le Luxembourg accueille jusqu’au 21 janvier 2007, une rétrospective exceptionnelle : plusieurs toiles, la plupart des portraits, du plus grand peintre du XVI ème siècle. Un artiste dont le renom de son vivant, proche des princes, qui tutoyait Charles Quint, tient à la maestrià de son pinceau et de sa palette. Prince des peintres, Titien (1488 ou 1490-1576) le fut inconstestablement. L’histoire de l’art en a fait un représentant du beau coloris, à l’égal de ses cadets, Véronèse et Tintoret, tous plus habiles à manier la couleur et la tonalité qu’à parfaire la ligne du dessin. Eternelle opposition des écoles : ici, la somptueuse étoffe du colorisme vénitien ; là, la précision angélique de la ligne qui s’est imposée de Florence à Rome grâce au talent non moins indiscutable du contemporain de Titien, Michel-Ange. C’est d’ailleurs ce dernier qui aurait regretté que son confrère ne maîtrisât pas suffisamment le dessin, suscitant ainsi une polémique esthétique encore active.
Quoiqu’il en soit, Titien demeure le prince des peintres. Sa brosse ne fait pas qu’illustrer la vie, elle l’exprime sous l’épiderme de la matière picturale. Ses modèles palpitent et respirent ; sous le poids des costumes, derrière la dignité des charges et les insignes du pouvoir, ces princes, sous le regard de leur serviteur, sont des hommes, des individualités saisies sur le vif. Ainsi en-est-il par exemple de la toile conservée au Palais Pitti à Florence et qui représente, vers 1511 – alors que le jeune artiste n’est âgé que de 21 ans-, trois hommes qui sont de toute évidence des musiciens…

Une secrète entente…
Longtemps la toile fut attribuée au codiscisple de Titien dans l’atelier de Giovanni Bellini, Giorgione. Fond noir d’où émergent les figures à mi corps. La composition en frise focalise sur les individus qui sont des portraits. Associés en une scène de genre vivante, les trois hommes se retrouvent ainsi lors d’une répétition ou d’un concert, ils sont saisis avec un naturel qui n’appartient qu’au plus grand artiste. Simplicité et grandeur de leur pose. Rien ne vient troubler la présence de chacun d’eux vis-à-vis du spectateur. L’oeil entretient avec chacun un rapport d’intimité, de chaleureuse fraternité, de connivence : ainsi, le plus jeune, empanaché, nous regarde-t-il, comme pour mieux nous inviter à pénétrer dans leur activité.
Visiblement, ceux là s’entendent à merveille : le plus âgé, tient dans la main gauche sa viole ; il pose sa main droite sur l’épaule du joueur d’épinette au centre, lequel se retourne vers son partenaire. Complicité, secrète entente, jamais tableau, à la limite ténue entre portrait et scène de genre, n’a mieux exprimé l’harmonie des âmes. De sorte que beaucoup tiennent l’oeuvre pour une allégorie de l’action affective de la musique : musique d’enchantement qui, plus qu’adoucir les moeurs, les fusionne et les fait vibrer à l’unisson… Titien se souviendrait-il du tableau de son contemporain, Giorgione sur un thème identique : « les trois âges de l’homme » où trois figures de génération différente, s’intéressent à déchiffrer une partition… L’oeuvre est également conservée au Palazzo Pitti à Florence et date entre 1500 et 1505.

Qui sont-ils?
Au centre de la toile, le musicien français Philippe Delouges, né vers 1480 (comme Titien), appelé Verdelot, qui fut un madrigaliste de renom, mort vers 1538 ou 39. Il officia à Florence comme chanteur et maître de chapelle du baptistère San Giovanni, célébré au sein de la Cour des Médicis. Comme joueur d’épinette, il porte ici la cape de chant (cappa choralis) que les laïcs portaient dans le choeur, auprès des ecclésiastiques.
A droite, figure le plus âgé, Jacob Obrecht, né en 1453, grand compositeur polyphonique avec Josquin des Prés, mort de la peste à Ferrare à l’été 1505. Prêtre (il est entré dans les ordres à Louvain), il porte la petite cape de choeur et tient sa viole de gambe de la main droite.
A gauche, comme à l’écart de l’union silencieuse qui relie les deux plus âgés, un jeune chanteur apprêté, portant chapeau et panache de plumes d’autruche blanches, nous fixe : c’est lui qui rétablit le lien entre l’espace représenté et l’espace du spectateur. En nous regardant, il rééquilibre la distanciation produite par notre regard : à son invitation, nous entrons dans la toile.

Explications
Si l’on suit la datation de l’oeuvre de Titien, soit 1511, Obrecht était mort depuis 6 ans. Il s’agirait donc d’une représentation posthume, souhaitée par son jeune confrère, Verdelot. Hommage d’un musicien à un aîné. En jouant de son épinette, le claviériste semble susciter l’image vivante du disparu avec lequel il semble entretenir une relation artistique en parfaite complicité. La présence du jeune chanteur indique la fonction de maître de chapelle et directeur des vocalistes, qui était la sienne à Forence.
Fidèle à l’esthétique morale et spirituelle de Giorgione, le jeune Titien pourrait aussi, outre exécuter un triple portrait, illustrer les trois âges de la vie. Adolescence, splendide et presque insolente puisqu’elle nous toise ; maturité et sensibilité ; vieillesse et renoncement (Obrecht ne joue plus). De toute évidence, la musique joue ici un rôle essentiel : Titien, dont la culture et l’éducation étaient particulièrement élevées, ne souhaite-t-il pas nous indiquer que la musique est une nécessité vitale, accompagnant chacune des étapes de la vie du Cortegiano, de cet homme bien né.
Au-delà des intentions visibles, l’oeuvre du Titien exprime l’indicible et le caché (un comble pour un tableau), l’impénétrable et le mystère de l’humain. Le vrai sujet du tableau ne serait-il pas justement la musique et l’état affectif qu’elle cultive? En définitive, nous aurions là, non pas le portrait d’individus qui se sont connus et se sont retrouvés dans la musique, leur métier, mais, allégorie suprême, l’expression directe et tangible d’une connivence spirituelle. Quand Verdelot joue l’épinette, il active par sympathie et résonance musicale, le souvenir d’une amitié partagée avec un musicien qui s’est éteint.

Agenda
« Titien, le pouvoir en face ». Musée du Luxembourg, Paris. Du 13 septembre au 21 janvier 2007. www.museeduluxembourg.fr
Au XVI ème siècle, l’image est le propre des grands. Les peintres offrent aux princes et souverains narcissiques, la possibilité de satisfaire leur désir de grandeur et la volonté de contempler la représentation tangible de leur pouvoir. L’exposition distingue deux groupes de portraits : les « politiques » d’un côté (princes, monarques, pape, empereur…) ; leurs contemporains, de l’autre. Tous sont animés par une soif insatiable de puissance.

Prolonger


Découvrez une autre oeuvre de Titien sur un sujet musical, la Vénus avec un organiste (Madrid, musée du Prado)

Illustrations
Titien, Concert (Florence, Palazzo Pitti, 1505-1511)
Giorgione, les trois âges de la vie (Florence, Palazzo Pitti, 1500-1505)

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