mardi 6 mai 2025

Titus mozartien à Saint-Etienne et à Strasbourg

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)Saint-Etienne,Strasbourg. Mozart : La Clémence de Titus. 6>27 février 2015. Crépuscule éblouissant. Après Lucio Silla, Idomeneo, Mozart revient à la fin de sa courte existence au genre seria : la Clémence de Titus incarne les idéaux moins politiques qu’humanistes du compositeur qui écrit aussi simultanément en un tourbillon vertigineux son autre chef d’œuvre, mais sur le mode comique et popualire, La Flûte enchantée, en 1791. Au soir d’une fabuleuse carrière où le génie des Lumières pressent les prochaines pulsations de l’esthétique romantique, Titus reste l’opéra le moins connu et le moins estimé du catalogue mozartien. A torts.

 

 

 

Crépuscule éblouissant

 

 

titusLa musique y est d’un raffinement crépusculaire sublime aux enchaînements remarquables…  A l’acte I par exemple, tout s’enchaîne magnifiquement dans sa phase conclusive du N° 9 au N° 12 : servitude aveugle de Sesto, hystérie désemparée de Vitellia (trio « Vengo » N°10), remord de Sesto (recitativo accompagnato N°11) et chœur de l’incendie du Capitole, marche funèbre révélant la mort supposée de Titus (finale en quintette N°12). On n’a guère entendu de pages aussi sublimes que les trois dernières scènes de l’acte I. Mozart y mêle en génial dramaturge, la solitude des coupables (Sesto/Vitellia), le tableau de la Rome incendiée, et le chœur de déploration pleurant la mort de l’Empereur. Cette double lecture annonce déjà le XIXème siècle : intimité des héros souffrant, clameur du chœur qui restitue le souffle de l’épopée et du mythe antique.
A l’acte II, même parfaite gestion du renversement dans l’évolution du personnage de Vitellia par exemple et que nous avons précédemment évoqué. Jusque-là insensible, froide manipulatrice, intéressée et politique. Il faut qu’elle entende l’air « S’altro che lagrime » de Servillia qui tout en prenant la défense fervente de son frère Sextus, reproche à Vitellia sa « cruauté ». C’est la prière d’une sœur (Servilia est la sœur de Sesto), exhortant celle qui maltraite son frère à le défendre qui est la clé dramatique de l’Acte II. Après avoir entendu Servillia, Vitellia n’est plus la même : dans le grand air qui suit (sans ici l’artifice du secco), la transformation s’opère dans son cœur. Renversement et transformation. Voyant la mort, elle éprouve enfin compassion et culpabilité accompagné par l’instrument obligé, un sombre et grave cor de basset. Elle avouera tout à Titus :  comment elle feignit d’aimer Sesto pour le manipuler ; son désir de vengeance et le complot qui devait tuer l’Empereur.
Avant cette confrontation avec Servillia qui lui renvoie sa propre image, elle était une autre. L’on serait tenté de dire, étrangère à elle-même. Et cette transformation est d’autant plus profonde que l’air qui l’a suscité (S’altro che lagrime déjà cité) est court. Autre fulgurance.
Et plus encore : Mozart fait succéder à cette transformation miraculeuse, l’entrée de l’Empereur dont chacun attend la sentence quant au sort de Sesto. Marche d’une grandeur solennelle, là encore d’une sublime romanité, l’apparition de l’autorité impériale fait contraste avec le monologue de Vitellia où l’on pénétrait dans l’intimité, jusqu’au tréfonds de son âme, coupable et compatissante.

 

titus250L’artiste épouse les idéaux les plus modernes et retrouve même l’insolence de Figaro. Dix jours avant la création de l ‘œuvre, le 27 août 1791, Leopold II signe avec le Roi de Prusse, la « déclaration de Pillnitz » qui est un engagement d’intervention militaire immédiate en cas d’action inspirée par l’esprit de la Révolution et par le jacobinisme ambiant. Dans ce contexte où les souverains de l’Europe désirent renforcer leur autorité et donner une image positive de la monarchie, l’opera seria Titus apporte une illustration plus qu’opportune. La preuve éloquente de la dignité du prince, magnanime et clément. Une sorte de manifeste a contrario de la Révolution, qui atteste de la grandeur et des vertus du pouvoir monarchique.  Toute la poésie de Métastase sert cet idéal politique.
Or Mozart donne sa propre vision de la grandeur politique. La romanité sublime de son opéra, en particulier le final des deux actes (l’incendie du Capitole au I ; l’arrivée de l’Empereur après le rondo de Vitellia au II), ne laisse en vérité aucun doute sur la fragilité des êtres, qu’il soit prince ou simple individu. Il a fait éclater le carcan d’un art de servitude, seulement attaché à la propagande monarchique. C’est pourquoi sa dramaturgie transcende le seul cadre politique. Son propos est plus universel, il est humaniste. En chaque personnage, il voit son double : son frère, en proie aux doutes, terrifié par la mort, soumis aux lois de la Vérité pour laquelle tout homme libre est celui qui pardonne, et finalement renonce. Il fait des hommes, les proies d’un jeu d’équilibre précaire où la folie menace toujours la raison. Rien avant lui n’avait été dit avec autant de clarté : il peint l’homme et la femme tels qu’en eux-mêmes : immatures, impulsifs, contradictoires, solitaires. Tout ce que leurs rôles héroïques, leur stature, leur rang empêcheraient de voir. Le paradoxe et la grandeur de l’opéra seria tiennent à cela, avec ce que Mozart apporte de génie : des êtres qui se désireraient divins et sages mais qui ne sont que faibles et pulsionnels.

 

Il est temps de réestimer le dernier seria de Mozart. C’est l’enjeu des productions présentées en ce début d’année, en février 2015 à Strasbourg et à  Saint-Etienne, soit deux productions distinctes qui relancent la question de la réhabilitation d’un opéra majeur méconnu…

 

Opéra de Saint-Etienneboutonreservation
Les 25, 27 février, 1er mars 2015
Reiland, Podalydès
Allemano, Hache, Bridelli, Savastano, Brull, Palka

Opéra national du Rhin, Strasbourgboutonreservation
Les 6,8, 17,19,21 février 2015
Spering, McDonald
Bruns, J. Wagner, d’Oustrac, Skerath, Radziejewska, Bizic

 

 

LIRE nos dossier sur La Clémence de Titus, le dernier seria de Mozart (1791).
Un opéra humaniste

Discographie de La Clemenza di Tito (Kertesz, Gardiner, Harnoncourt, Jacobs, Mackerras…)
Illustrations : Mozart ; portrait de Titus ; Joseph II et son frère Léopold, futur empereur et commanditaire de l’opéra La Clémence de Titus de Mozart (DR)

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