jeudi 24 avril 2025

Toulouse. Cathédrale Saint-Etienne, lundi 31 mars 2008. Jean Gilles (1668-1705): Motet Cantate Jordanis incolae, Messe des morts. Les Passion. Jean-Marc Andrieu

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A la mémoire de Jean Gilles

Né à Tarascon en 1668, Jean Gilles s’éteint à Toulouse le 5 février 1705. Il accompagne donc les dernières évolutions musicales du règne de Louis XIV. Ce génie méconnu, aussi doué pour la musique que faible de constitution (il annonce en cela un tempérament créatif aussi éclatant que Vivaldi) passe surtout par Aix-en-Provence où il s’impose aux côtés du maître de chapelle Guillaume Poitevin, à la Cathédrale Saint-Sauveur, auquel il prend la succession en 1693, à 25 ans. En 1695, il est nommé maître de Chapelle à la Cathédrale d’Agde, puis devient directeur de la musique à Saint-Etienne de Toulouse dès 1697: c’est dans la nef de cette même église où il fut inhumé sans que l’on sache où exactement, que Les Passions dirigés par Jean-Marc Andrieu donnaient ce 31 mars 2008, la Messe des morts. Oeuvre de pleine maturité malgré son jeune âge et qui l’accompagne dans l’autre monde: comme Mozart attablé à son Requiem, Gilles avant lui, s’éteint à 36 ans, dans la composition du sien. Son style n’est pas qu’un « avatar » régional mais bien la manière d’un grand compositeur qui aurait été un digne successeur de Richard de Lalande à la Chapelle Royale de Versailles.

Chef d’oeuvre Grand Siècle
La fortune critique de la partition est éloquente: tous les contemporains l’estiment dès sa création comme le Requiem le plus parfait, partition obligatoire pour toute célébration funèbre. Initialement commandée par deux conseillers (Capitouls) au Parlement toulousain, l’oeuvre non payée fut scellée par l’auteur qui invita à ce qu’elle soit créée uniquement pour ses obsèques. Le choc fut tel qu’elle fut reprise en 1727 pour les funérailles du Duc de la force, choisie pour célébrer à Paris, la mémoire de Rameau en septembre et décembre 1764, jouée à Versailles, pour le service funéraire de Louis XV en 1774. Prestigieux pedigree. Inscrite au programme du Concert spirituel dès 1750, la partition éditée en 1764 fut complétée par un carillon par Corette (c’est là, l’un des nombreux ajouts non souhaité à l’origine par l’auteur). Dès la marche d’ouverture, à la fois solennelle et recueillie, comme une ouverture à la française, l’oeuvre souligne surtout, non pas l’effroi de la mort mais ce passage miraculeux qui mène à la lumière de Dieu. C’est une ascension progressive entonnée par les solistes et surtout le choeur, ici admirablement préparé (superbe fugue chorale de la fin qui est bien l’apothéose de cette oeuvre de lumière) dont les accents à la fois puissants et pénétrés incarnent ce faste recueilli et tendre, cette majesté confiante, propre à la Cour versaillaise. Le geste de Jean-Marc Andrieu à la fois précis et ample mesure les points d’intensité d’une partition qui surprend par sa souveraine sérénité, et à l’orchestre, par une recherche constante de couleurs. D’ailleurs le choix du serpent, instrument placé près du basson, souligne en un halo sensuel, parfaitement adapté à la projection vocale, cette opulence instrumentale, magnifiquement réglée (malgré la configuration du concert qui offrait une acoustique sèche sans résonance). Mais l’attention du chef saisit tout autant les épisodes pleins d’espoir (Et lux perpetua), les rythmes dansés (Kyrie I), ce lyrisme plein de vie et d’active ferveur qui fonde l’art du grand Gilles. Le directeur des Passions a choisi, en l’absence de la partition originale, une lecture dépouillée des ajouts « à la mode du jour » dont l’oeuvre a été affublée tout au long de ses nombreuses reprises (pas de carillon).
Les témoins de l’époque ont parfaitement analysé la valeur du Requiem légué par le compositeur méridional: tendresse et sensualité mesurée, profondeur entre gravité et ferveur de la prière: Gilles nous offre une synthèse exceptionnellement réussie de l’esprit Grand Siècle, coloré et comme irradié par la sensibilité méditerranéenne. Il n’est pas surprenant qu’un auteur aussi exigeant que Campra (qui a suivi les premières réalisations), l’ait immédiatement adopté et défendu.

Travail musicologique
L’approche s’appuie sur un travail minutieux de comparaison des manuscrits connus (copies conservées à la Bibliothèque Nationale, à la Bibliothèque de Bordeaux, et manuscrit privé lyonnais). L’instrumentarium retenu par Jean-Marc Andrieu respecte les usages de l’époque de Gilles grâce à des sources locales (archives de la Ville de Toulouse précisant les noms des musiciens employés à Toulouse autour de l’année 1700), diapason à 392 hz, prononciation du latin à la française, souci d’articulation et de respect de la prosodie concourent à une lecture très en phase avec l’esthétisme du compositeur, « teinté d’italianisme provençal, (… ) naturellement chantant et dansant« . L’aboutissement est convaincant, rehaussé moins par la tenue très honnête des solistes que les vagues puissantes du choeur, visiblement électrisé par la ferveur de la partition. Les Passions poursuivent ainsi une série d’excellentes réalisations dont le dernier album dédié aux Vêpres Vénitiennes de Porpora, nous avait également convaincus. Les mêmes interprètes donneront le très beau programme Gilles, en divers étapes estivales (courant août 2008: Heures Musicales de l’Abbaye de Lessay, Manche, le 13 août. Festival de la Chaise-Dieu, Haute-Loire, le 23 août, enfin, Festival International de musique sacrée de Sylvanès, Aveyron, le 24 août 2008). L’enregistrement discographique devrait être réalisé à l’été 2008 et le disque, paraître fin 2008, début 2009.

Toulouse. Cathédrale Saint-Etienne, lundi 31 mars 2008. Jean Gilles (1668-1705): Motet Cantate Jordanis incolae, Messe des morts. Concert donné dans le cadre des Rencontres de Musiques anciennes en Midi-Pyrénées d’Odyssud. Orchestre Les Passions. Chœur de chambre Les Éléments (direction: Joël Suhubiette). Jean-Marc Andrieu, direction

Illustrations: Charles Lebrun, Louis Testelin. Vers 1650 (Paris, musée du Louvre). Jean-Marc Andrieu © JJ Adler

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