Chostakovitch enthousiasme Toulouse comme jamais
La Première Symphonie de Chostakovitch est sidérante lorsqu’on se rappelle que déjà tout ce qui fera les immenses qualités et les péchés véniels du grand Chostakovitch de la maturité y sont déjà présents, alors que le jeune compositeur a tout juste 19 ans. Les formules audacieuses sont déjà là, les couleurs orchestrales très originales aussi, surtout la puissance déclamatoire encore balbutiante mais sidérante d’ efficacité. Il va sans dire que l’ interprétation a été magnifiquement idiomatique en tout. Un modèle de perfection orchestrale, d’intelligence de direction. Public et musiciens étaient tout émoustillés au dernier accord.
L’entrée du soliste a provoqué une belle attente. Comment un si jeune homme allait interpréter le très profond Concerto n° 2 pour violoncelle de Chostakovitch ? Cela représentait un défi stimulant. À seulement 18 ans et avec une autorité et une maturité étonnantes, le jeune violoncelliste va au devant d’une carrière d’exception. Le son est chaleureux, les nuances très profondément creusées, l’ audace et la pertinence des choix convainquent. On ne peut cacher que la partition de Chostakovith peut trouver interprète plus sombre, plus âpre, ou sarcastique. On ne peut trouver engagement plus honnêtes, technique plus parfaite. Le temps enrichira un interprète qui est déjà majeur. Le potentiel de l’interprète semble sans limites, tant techniquement, il a déjà tout avec une sonorité propre et une autorité que seuls les plus grands obtiennent. Le public, et l’ orchestre lui ont fait une véritable ovation. Personne ne pouvait imaginer qu’ un si jeune artiste offre tant dans ce Concerto de la maturité du compositeur, Concerto que Rostropovich créa en sa pleine gloire.
La Dixième Symphonie est l’ une des plus parfaitement construites et des plus puissantes de Chostakovitch ; le compositeur y condamne les forces obscures du pouvoir absolu dans ses plus sinistres méfaits. La dimension politique n’ est pas la priorité de Gergiev et c’est surtout l’énergie de cette révolte qui le meut. Sa direction à main nue est sensuelle ; elle évoque des papillons voltigeants, mais la main de fer qui s’y cache ne lâche jamais un tempo exact. La puissance qui se dégage de cette direction est captivante dans les moments les plus cuivrés comme dans le désespoir des murmures. La structure est limpide, la direction générale évidente. Tout semble facile à l’auditeur qui se laisse entraîner sans pouvoir de résistance. Une interprétation qui, si cela avait un sens pourrait être légendaire, chef et orchestre russes permettant au compositeur russe de dépasser les frontières de leur pays pour parler de toutes les forces de résistances des hommes de par le monde face aux méfaits du pouvoir absolu.
L’intensité de l’interprétation a maintenu une tension extrême chez les auditeurs que les salves d’ applaudissements n’ ont pas pu apaiser. C’est en choisissant un bis hors des sentiers battus que le chef a pris soin de libérer le chant de mélodies suaves qui avaient tant manqué jusqu’alors sans que nous en ayons eu conscience.
Le prélude de Lohengrin a été abordé dans une nuance assez soutenue, avec une audace incroyable ; Gergiev a maintenu une tension extrême dans le lent crescendo qui s’est libéré uniquement lors de l’arrivée des cordes graves dans un forte savamment dosé. Toute les séductions wagnériennes ont ainsi transporté l’auditeur hors de l’espace et du temps vers l’apaisement. Gergiev est aussi un immense wagnérien… Il peut aujourd’hui tout demander et tout obtenir d’un orchestre qu’il a façonné depuis 25 ans : son splendide Orchestre du Mariinsky. Toulouse est un public choyé et qui en a eu conscience tout particulièrement ce soir.
Toulouse. Halle aux Grains, le 9 janvier 2013. Dimitri Chostakovitch (1906-1975). Symphonie n° 1, en fa majeur,op.10 et n° 10, en mi mineur,op.93. Concerto pour violoncelle et orchestre n° 2, en sol mineur,op.93. Edgar Moreau, violoncelle. Orchestre du Théâtre Mariinsky de Saint- Pétersbourg. Direction: Valéry Gergiev.