mercredi 23 avril 2025

Toulouse. Le 21 juin 2012. Théâtre du Casino Barrière. D’ouest en Est aux sources de l’école française. Ballets de George Balanchine et Marius Petipa. Ballet du Capitole. Nanette Glushak.

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D’Ouest en Est aux sources de l’école française est donc le dernier ballet de Nanette Glushak en directrice de la Danse au Théâtre du Capitole.
Donné dans l’élégant Théâtre du Casino Barrière, le confort des sièges et la qualité de la vision et de l’acoustique ont permis de déguster un spectacle ravissant pour terminer la saison 2011-2012.
Ces cinq petits ballets forment un divertissement de grande qualité, rien ne venant gâcher notre plaisir en cette chaude soirée. Proposant un voyage dans l’école française de la danse dont les canons sont nés sous Louis XIV, l’évolution dans le temps va nous mener de Bach et Mozart à la musique de Richard Rogers du XX°siècle, dans un mélange de Cabaret et de Jazz. Certes, l’école française est reconnue mondialement tant à travers ses danseurs que ses institutions et ses chorégraphes mais doit beaucoup à de nombreuses influences et génies étrangers; aussi c’est plutôt une ouverture au monde qu’un enfermement chauvin qui prévaut à cet assemblage bien plus harmonieux que la simple liste ne le laissait prévoir. Un sens peut même être donné à ces choix. Passant par bien des aspects du théâtre au sens large.


La Quintessence du ballet occidental

Le premier ballet Concerto Barroco est une belle chorégraphie très élégante et sage de George Balanchine réalisée par Nanette Glushak.
Le corps de ballet évolue par groupes, puis en un court pas de deux, mais sans véritable individualisation. En cette soirée de première, la parfaite symétrie, la fusion des gestes comme étant d’un seul n’a pas vraiment fonctionné et les bruits des pas a été bien trop souvent envahissant. Des infimes décalages, des positionnements un peu flous n’ont pas eu la parfaite harmonie attendue. Car la musique de Jean-Sébastian Bach, son concerto BWV 1043 pour deux violons contient tant de perfection qu’elle réclame beaucoup, peut être même un peu trop pour un corps de ballet.

Ce qui n’a été qu’ébauché dans Concerto Barocco avec des petits moments de pas de deux, va se développer dans deux magnifiques moments du grand répertoire. Ce sera l’occasion de découvrir deux couples de danseur de grande qualité.

Le pas de deux du Corsaire sur une musique de Ricardo Drigo aux effets parfois faciles permet de créer un modèle du genre. Nanette Glushak en chorégraphie tous les archétypes avec évidence. Ainsi l’entrée fascinante des deux danseurs, leurs soli puis des corps qui s’entrelacent avant de se délier en exprimant une tension amoureuse dont l’apogée est éblouissante. Magali Guerry et David Galstyan sont parfaits de tenue, d’élégance et de force maîtrisée. Sauts et portés athlétiques pour lui, pas délicats, ports de bras gracieux et fluides et silence des pas en chaussons qui semblent glisser sur le sol, sont quelques unes des nombreuses qualités des danseurs. L’harmonie du couple est grande et permet de croire à cet amour naissant entre le pirate et la jeune fille grecque sa captive, Morgane. Les costumes flamboyants, l’or et le vert harmonieusement mariés évoquent quelques contes des mille et une nuits.

Le pas de deux de Don Quichotte ou Grand pas de deux du mariage sur une musique de Ludwig Minkus est romantique à souhait et le couple de premiers solistes va nous le rendre inoubliable. Maria Gutierrez et Kazbek Akhmedyarov ont encore monté d’un cran le niveau artistique. Quelle beaux danseurs se jouant des difficultés les plus grandes mais se dépassant encore d’avantage dans les pas de deux. Après un début un peu timide Maria Gutierrez gagne en autorité et termine dans une forme éblouissante. La force de Kazbek Akhmedyarov lui permet de terminer semblant avoir encore des réserves. Pourtant quels sauts d’une amplitude inhabituelle, quelle facilité dans les portés les plus acrobatiques !! La technique est si maîtrisée qu’elle semble un jeu d’enfants. La réalisation de la chorégraphie de Marius Petipa par Nanette Glushak qui connaît bien ses danseurs a permis cette réussite admirable.

L’entracte après ce feu d’artifice montrait un public enthousiaste. La parfaite montée en puissance de la première partie faisait attendre une suite à cette progression artistique mais craindre également d’être déçu. Il n’en fut rien bien au contraire la progression a continué avec le sommet de l’émotion de la soirée avec le ballet La petite Mort de l’immense Jiri Kylian dans une réalisation chorégraphique de Roslyn Anderson. Il s’agit d’une commande assez récente du festival de Salzbourg datant de 1991. Le choix de la musique est audacieux car il fait se suivre deux des plus beaux mouvements lents des concertos pour piano de Mozart. L’Adagio du concerto 23 puis l’andante du 21. Ce qui parait artificiel sur le papier ou facile est une vraie idée de génie et il est bien compliqué de décrire l’émotion qui saisit lors de cette rencontre avec la mélancolie mozartienne et ce ballet des âmes aimantes en peine. Le corps des danseurs vit tant d’émotions ou les rend si proche des nôtres que la magie de ces 18 minutes fait oublier toute notion de temps et d’espace. Les fleurets utilisés comme des partenaires vivants dans les premiers instants provoquent une inquiétante étrangeté qui ne se dissipera qu’après les derniers applaudissements. Car si le rituel social des salles de concerts autorisant et réclamant aujourd’hui des applaudissements immédiats dès les dernières notes posées, sans lui il est probable que de s’extirper de l’effet hypnotique de ce ballet aurait pris bien plus de temps. Il n’est pas fréquent de vivre un moment si étrange, si beau et triste à la fois convoquant le spectateur dans sa propre intimité. Il serait injuste de détacher un ou deux danseurs ou danseuses de ce travail collectif si fort mais les performances individuelles ont laissé sans voix en particuliers dans des corps à corps somptueux.

Le final a été brillant, dramatique et fort. Il repose sur une chorégraphie de George Balanchine commande pour une comédie musicale de Brodway, On Your Toes. Loin d’être un divertissement musical le drame se noue et se dénoue dans ce ballet, la mort étant au rendez-vous. Balanchine l’a renommé Slaughter on 10 th avenue (Carnage sur la 10 ° avenue) lorsqu’il l’a intégré dans son ballets hors la comédie musicale. Mais la musique pulse, le cabaret n’est pas loin et la troupe de danseurs est très à l’aise dans ce répertoire plus inhabituel. Costumes, décors, lumières sont beaucoup plus riches que dans les ballets précédents et l’histoire se joue et se dénoue sous nos yeux avec la rapidité de l’éclair. Un double meurtre au milieu de tant de gaieté et de paillettes, tant de fantaisie et d’humour n’en parait que plus cruel. Après la belle émotion, la force de vie de ces rythmes endiablés revigore le public qui fait un triomphe à la troupe et aux solistes, et tout particulièrement à l’émouvante Vera de Ina Lesnakowski.

Mais la réussite de la soirée doit beaucoup à l’orchestre. Pour ces soirées de ballet c’est l’Orchestre de Chambre de Toulouse qui a adapté son effectif pour les partitions plus cuivrées. Les solistes, les violonistes Chandra Varona et Ana Sanchez Hernandez et surtout la pianiste Eloise Urbain, ont été magnifiques. La direction de Nir Kabaretti a su se déjouer de tous les pièges stylistiques que cette variété aurait pu contenir. Et une manière de diriger qui permettait aux danseurs d’avoir toute la rigueur et la souplesse requise.
Une belle soirée d’été dans l’agréable théâtre du Casino Barrière termine en beauté le règne de Nanette Glushak au Capitole. Le public l’a longuement applaudie.

Toulouse. Jeudi 21 juin 2012. Théâtre du Casino Barrière. D’ouest en Est aux sources de l’école française. Ballets de George Balanchine et Marius Petipa (rechorégraphiés par Nanette Glushak) et Jiri Kylian (rechorégraphié par Roslyn Anderson). Musiques de Jean-Sebastian Bach, Wolfgang Amadeus Mozart, Ricardo Drigo, Ludwig Minkus et Richard Rogers (arrangement d’Hreshy Kay). Ballet du Capitole; Directrice de la danse : Nanette Glushak; Orchestre de Chambre de Toulouse. Direction: Nir Karbaretti.

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