Odyssud,
scène baroque
Salle vivante et dynamique en périphérie du coeur toulousain, Odyssud, proche de l’aéroport de Blagnac, a su fidéliser plus de 20.000 abonnés (un record absolu!), grâce à la pertinence de sa programmation ouverte et équilibrée, défendue par son directeur Emmanuel Gaillard. Ainsi, cette production audacieuse argumentée avec style par les Sacqueboutiers de Toulouse, qui dans le cadre des premières « Rencontres des Musiques anciennes en Midi-Pyrénées », organisées à et par Odyssud, proposaient une version instrumentale inédite du madrigal dramatique de Claudio Monteverdi (1624) « Il Combattimento di Tancredi e Clorinda ». L’option nouvellement présentée est instrumentale et substitue aux cordes habituelles, des cuivres anciens, plus « justes et expressifs » selon le fondateur des Sacqueboutiers, Jean-Pierre Canilhac. La conférence qui a préludé au concert a permis au public de comprendre combien le praticien musicien, disposant des avancées des chercheurs musicologues, peut établir diverses options d’interprétation face à une musique dite baroque où la notation reste souvent fragmentaire voire lacunaire, nécessitant d’indispensables aménagements.
Cuivres plutôt que cordes
L’idée de « compléter » notre connaissance sonore du Combattimento par l’ajout des sacqueboutes est un scénario défendable dans le contexte esthétique de Monteverdi. Car en effet, dans une autre oeuvre davantage connue et antérieure, l’Orfeo (1607), le compositeur cite en ouverture de l’opéra, par l’intervention d’une fanfare de cuivres, l’emblème musical de la maison ducale de Mantoue qui l’emploie. Or cette insertion du militaire dans le cadre lyrique, est une première historique, déduisant la participation des cornetistes et sacqueboutistes militaires avec les musiciens ordinaires d’un orchestre de cour. De couleurs martiales, il en est aussi question dans le Combattimento du chevalier chrétien Tancrède et de la belle musulmane, Clorinde. Insérer des timbres cuivrés dans l’instrumentarium habituel de l’oeuvre s’avère plutôt convaincant. La rondeur expressive des instruments souligne la violence imagées des scènes de joute guerrière et amoureuse, et même accuse la projection du texte, dont l’articulation demeure si importante pour les oeuvres de Monteverdi. Frénésie et fièvre de l’action belliqueuse redoublent d’accents mordants grâce à la contribution des cuivres et des cornets, ainsi associés.
En narrateur habité, le testo de fière allure de Furio Zanassi rétablit la portée incantatoire du texte, projection impérieuse et impériale des mots qui suscitent l’évocation du combat de Tancrède contre Clorinde: guerre d’amour et de mort, où la passion en mode concitato (agité) se consume en gradation subtile, série d’ellipses dramatiques où le chant se fait geste, comme tend à le montrer la chorégraphie des deux danseurs complémentaires. Leur confrontations et affrontements répétés illustrent la violence du canto montéverdien: fulgurance du dire qui n’a guère d’équivalent alors que le pinceau du Caravage et le théâtre poético-tragique d’un Shakespeare. Zanassi, maître chanteur (pourtant vocalement gêné à Toulouse en particulier dans les aigus, en raison d’un coup de froid?) qui fut ailleurs Farnace vivaldien pour Savall, et avant, Orfeo montéverdien pour Garrido, n’en est plus à sa première prestation de beau chant italien. A ses côtés, la soprano Adriana Fernandez (Clorinda) et le baryton Juan Sancho (Tancredi) campent chacun leur personnage avec conviction, soucieux du point d’équilibre et de fusion avec les instruments environnants.
En prélude au Combattimento, le jeune clarinettiste François Lemoine joue la « Paraphrase sur le Combat de Tancrède et Clorinde« , sequenza à la manière de Berio, signée du compositeur allemand Alexander Goher (1969). Habile, concentré, l’interprète suit les méandres convulsifs, violents, contrastés et hypertendus de la partition dont toutes les feuilles sont déposées devant lui. En un mouvement discret du corps, qui circule de droite à gauche, du début à la fin de la Paraphrase, le clarinettiste semble vivre toutes les étapes du parcours semé d’embûches de ce combat imaginaire.
En plus du Combattimento, pièce centrale de la soirée, les interprètes ont ajouté la sonate de Dario Castello, « sopra la battaglia », et entre autres, un extrait de « Tirsi e Clori » de Monteverdi, qui fut d’ailleurs repris en bis. Le concert inscrit le théâtre baroque dans le salle d’Odyssud qui annonce pour 2009, de nouvelles Rencontres de Musique Ancienne...
Toulouse. Odyssud, Samedi 29 mars 2008. Rencontres de Musiques anciennes en Midi-Pyrénées. Le combat de Tancrède et Clorinde de Claudio Monteverdi. Dario Castello (1590-1644) : Sonata sedici, sopra la battaglia – Sonate concertate, Venise 1644. Paolo Qualiati (1555-1628) : Carro di fedelta d’amore. Livret de Pietro della Valle, Rome, 1611. Alexander Goher (1932): Paraphrase pour clarinette solo sur le madrigal Il combattimento di Tancredi e Clorinda de Claudio Monteverdi (1969). Claudio Monteverdi (1567-1643): Il Combattimento di Tancredi e Clorinda – Venise (1624). Solistes: Adriana Fernandez, soprano. Juan Sancho, ténor. Furio Zanasi, ténor. Les Sacqueboutiers de Toulouse (Jean-Pierre Canihac, Marie Garnier-Marzullo, cornets. Daniel Lassalle, Sylvain Delvaux, sacqueboutes. Christine Payeux, viole et violone. Eduardo Egüez, luth. Yasuko Uyama-Bouvard, orgue positif). Jean-Pierre Canihac et Daniel Lassale, direction. Bruna Gondoni et Marco Bendoni, chorégraphie
Crédits photographiques: © Patrice Nin 2008