jeudi 24 avril 2025

Toulouse. Théâtre du Capitole, le 22 Juin 2012. Richard Wagner : Tannhäuser. Petra Maria Schnitzer, Peter Seifert : Tannhäuser. Harmut Haenchen, direction. Christian Rizzo, mise en scène

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Au Capitole un Tannhäuser au sommet

Il n’est pas évident de motiver un amateur d’opéra au goût délicat pour entendre et surtout voir Tannhäuser de Richard Wagner. Cette légende aux racines chrétiennes prend aujourd’hui une dimension de bondieuserie dépassée, car ne l’oublions pas Vénus et l’amour sensuel sont liés à Satan et la mort sacrificielle choisie par Elisabeth la promeut au rang de … Sainte. La société étriquée de la Wartburg qui croit en la partition du monde en deux et se veut paragon du bien, a bien trop à voir avec notre ici et maintenant… Reste une partition fascinante du jeune Wagner, idéaliste passionné et osant transgresser bien des règles.

Nous allions donc écouter plus que voir et entendre d’avantage que comprendre le sens du texte. Avec Peter Seifert, nous savions tenir un vrai heldentenor lui qui est sur les meilleurs scènes un Tristan très prisé. L’oreille libre d’attentes démesurées a donc pu dès la nuit tombée dans la salle se laisser séduire par le sorcier Wagner. L’ouverture est très connue et très appréciée en pièce de concert dans sa forme fermée agrée par l’auteur. Les infimes nuances des bois, la subtilité des phrasés, l’ampleur du crescendo ont été superbement rendus à leur romantisme par la direction inouïe d’Harmut Haenchen et les superbes instrumentistes de l’Orchestre du Capitole. L’émotion n’a fait que gagner avec les magiques interventions des choeurs en coulisses et les ballets du monde de Vénus.
Dès les premiers accords si reconnaissables de l’ouverture l’allant du tempo a stimulé l’écoute. C’est en effet cette juste adaptation du tempo à la jeunesse de l’auteur qui a fait le prix de cette admirable direction musicale qui n’a jamais cherché à faire du son lourd, respectant le caractère expérimental de la partition, à cheval entre l’ancien monde de l’opéra Mozartien et Weberien, voir belcantiste et les merveilleuses audaces d’un futur tristanien. Splendeur qui a diffusé sur tout le spectacle tant l’oreille a été constamment à la fête avec un orchestre de rêve. Force dramatique, engagement passionnel dans la grande scène avec Vénus, mais également subtilités de l’écriture osée de Wagner ont été mis en valeur. Les couleurs venimeuses ou tendres de l’orchestre ont irisé l’espace et rendu aux personnages leur force de vie.

Romantisme ne rime pas avec fouillis et la subtilité de la direction, la parfaite analyse des styles, l’humilité devant le respect des nuances de la partition ont fait de cette représentation un moment de très fine musicalité même dans les scènes réputées de style pompier ou du moins fastueuses comme la fin de l’acte II. Le fossé entre la valeur expérimentale de la partition et l’archaïsme du livret n’a jamais été aussi évident, dynamisant l’écoute.

La mise en scène et la chorégraphie de Christian Rizzi sont allé dans cette direction de l’épure afin de ne pas surcharger des poncifs si aryens. Ainsi les corps chez Vénus se sont lascivement rencontrés mais sans joie et un récurrent geste d’ abaisser la tête de la personne rencontrée semble refuser un véritable échange interpersonnel dans ce monde clos où rien ne semble stable.

Le Tannhäuser de Peter Seifert dès son premier : Zu viel, nous fait comprendre que nous tenons là un vrai héros. La qualité de cette voix homogène sur tous les registres, capables de tout chanter, même les aigus assassins, de dire le texte avec une rare intelligence permettent de croire le rôle chantable. Comme l’acteur est engagé l’incarnation est convaincante de bout en bout. Il saura passer de l’amant las au jeune chevalier fringant, puis au révolté, avant de délivrer un retour de Rome digne de la folie de Tristan.
La Vénus qu’on lui a opposé a le même volume sonore héroïque mais avec un large vibrato, des aigus tirés et peu de nuances. Elle est en somme toute à l’opposé de son amant qui nuance chacune de ses interventions. Plus tard l’accord avec l’Elisabeth de Petra Maria Schnitzer est bien mieux réussi, le ténor adaptant avec musicalité et finesse ses moyens colossaux à ceux confortables de sa partenaire. La voix de la soprano viennoise est plus métallique mais très pure à la manière d’une Birgit Nilson jeune, mais avec bien de la tendresse dans la voix et une passion chaleureuse que la diva norvégienne ne posséda jamais. S’il lui faut quelques instants pour maitriser sa terrible entrée à froid elle fait de son Dich Teure Halle un moment de passion exaltée tout en nuances et sons filés, et le dialogue avec l’orchestre de vif argent rend jeunesse et exaltation romantique à cette scène forte, enchaînée avec un duo passionné de la plus belle musicalité. Le dernier acte avec la prière dans l’attente et la mort chaste, sera un beau moment de chant pur chargé en émotions. Le couple maudit des héros a donc gagné le paradis au final et le public reconnaissant leur a fait un triomphe personnel.

Un Wagner bien chanté

Coté beau chant noble, les incarnations de Christof Fischesser en Hermann et Lucas Meachem en Wolfram ont utilisés leur superbe timbre pour nuancer avec art leurs parties. Ce Wagner bien chanté, admirablement phrasé et riche en nuances mérite d’être loué car bien trop rare. Certes des Wolfram plus sonores ont plus impressionnés, mais Luca Meachen est un Liedersänger qui sait faire passer l’émotion par le texte et le phrasé plus que par le volume sonore. Jamais aucune note n’a été forcée et ce Wolfram est un Meistersinger fait de délicatesse mâle. Et sa présence sur scène est emprunte d’une élégance naturelle pleine de charme.
L’autre élément majeur de cet opéra est le chœur et il faut là aussi rendre les armes car on ne peut espérer de plus beau chœur d’opéra que celui-ci admirablement préparé par Alfonso Caiani. Pupitres tous homogènes, nuances infimes, couleurs magnifiques, crescendo semblant sans limites, tout est splendeur. Ainsi l’émotion lors du final du II mais surtout le chœur des Pèlerins et le final du III sont absolument magiques.

La mise en scène de Rizzi n’a rien de révolutionnaire et permet à l’action de se développer sans gène. La référence à la musique comme premier objet de soin est visible avec les cors et les cuivres sur scène aux moments clefs. De même les harpes et bois dans les loges d’avant-scène permettant une spatialisation du son spectaculaire.

Les décors sont plus ou moins réussis. Le superbe mur fossilisé de Vénus montre bien l’enfermement. La salle de la Warburg avec des colonnes mal négociés est plus ingrat et l’acte III en sa simplicité participe à l’émotion. Les éclairages sont en fait trop modestes décevant l’œil face à la luxuriance de nuances et de couleurs de la subtilité musicale. Leur sobriété ne convient pas et surtout ni la nuit de Vénus, ni le printemps du retour, ni l’automne du final ne sont clairement repérables. Bien trop souvent une sorte de mezzogiorno sert de repli frileux. Ce sont les costumes de Michaela Bürger qui représentent la plus belle idée de la mise en scène. Les humains en marionnettes ou poupées dirigées par leur propre aveuglement se retrouvent pour certains emballés avec des nœuds dans le dos à la manière des Geischa (y compris les chevaliers) en robe de chambre-manteau, cirés-chics, veste de chasse ou de pèche transformés en longs manteaux. Toute une variété de longueurs de vêtements très contemporaine dans les superpositions d’habits. Les hauts talons, les coiffures sidérales et les maquillages d’oiseaux de paradis permettant à chaque choriste de développer un personnage de façade. L’humour chic proposé par ces costumes magnifiques est réjouissant dans cette histoire où les figurants ont des allures de courtisans bien-pensants. Les carcans sociaux sont représentés par ces costumes complexes brisant la liberté de mouvement. Seuls Tannhäuser et Elisabeth dans l’acte III déambulent dans des vêtements flous et pieds nus refusant les conventions vestimentaires avant de mourir libérés.

La très haute qualité musicale, chorale et vocale pour les quatre rôles principaux (avec nos réserves pour Vénus) font de cette production une réussite splendide qui marquera les toulousains et mérite de voyager dans le monde entier.

Toulouse. Théâtre du Capitole, le 22 Juin 2012. Richard Wagner (1813-1883) : Tannhäuser sur un livret du compositeur. Mise en scène et chorégraphie : Christian Rizzo ; Décors : Frédéric Casanova ; Costumes : Michaela Bürger ; Lumières Catherine Olive ; Petra Maria Schnitzer : Elisabeth ; Christof Fischesser : Hermann ; Peter Seifert : Tannhäuser ; Lucas Meachem : Wolfram ; Maxim Paster : Walther ; Andreas Bauer : Biterolf ; Paul Kaufmann : Heinrich ; Richard Wiegold : Reinmar ; Jeanne-Michèle Charbonnet : Vénus ; Anna Schoeck un jeune Pâtre. Chœur du Capitole, chef de chœur : Alfonco Caiani. Orchestre National du Capitole. Direction : Harmut Haenchen.

Illustrations: © P.Nin

Toulouse. Opéra à l’affiche
Nouveau Tannhaüser au Capitole
jusqu’au 29 juin 2012

Le Capitole toulousain propose une nouvelle production du chef d’oeuvre romantique de Wagner, Tannhaüser,
composé en 1845… C’est le manifeste des conceptions esthétiques de
Wagner qui s’y met en scène, offrant une singulière définition de
l’artiste confronté à la nécessité d’intégrer la société. En lire + et voir la vidéo

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