Don Giovanni Amputé !
La même production en 2005 puis en 2007 avait déjà comme maillon faible la direction d’orchestre. La reprise 20013 pouvait-elle être pire ? Nous le dirons d’emblée pour ne plus y revenir, si le chef a pu faire illusion et nous avait séduit in loco en 2011 dans Cosi fan Tutte, par une sorte de synthèse de ses maîtres, ce soir il a atteint un degré de caricature surprenante. Dès les premières mesures de l’ouverture, le malaise s’installe. Jamais il ne se dissipera. Un tempo général bien trop rapide ne serait qu’un pêcher véniel, mais une véritable moulinette folle s’est emparée de la partition… la privant de toute fluidité, toute théâtralité, toute émotion, pour devenir une course désordonnée. Confondant vitesse et précipitation, avec des gestes bien peu clairs, Attilio Cremonesi empêche les musiciens de jouer. L’orchestre du Capitole est ce soir absent. Les cordes timides minaudent, la timbale caracole et les bois grossis par une disposition aberrante (trop haute en fosse) dépassent. Les contre-chants et les thèmes secondaires prennent le pouvoir, les soufflets sont les seules nuances, la brutalité ne permet jamais aux chanteurs de respirer. Il en résulte une véritable destruction du sens dramatique contenu dans la partition et plus frustrant s’il se peut : l’absence de toute émotion. Ce n’est pas la mise en scène banale et uniquement bouffe, ni même les superbes décors et les beaux costumes admirablement éclairés qui peuvent faire oublier le four orchestral.
Tout ceci est bien navrant car la distribution réunie était proche de la perfection. L’Anna hautaine de Tamar Iveri sait maîtriser les dangers de la partition même si les aigus sont un peu tendus. Le Commandeur géant d’Alexey Tikhomirov fait une forte impression scénique et vocale. La Zerline de Vannina Santoni est plus agréable scéniquement que son timbre acide. Le Mazetto d’Ipča Ramanović a de la tenue et de l’allure avec une voix bien projetée. Le Don Giovanni de Christopher Maltman a une belle et longue voix, une énergie enviable mais reste en superficie du personnage, ce soir uniquement jouisseur. Le Leporello d’Alex Esposito est le double de son maître, en comique extraverti sombrant trop souvent dans le ridicule. Dmitry Korchak rachète scéniquement bien des Ottavio grâce à une silhouette particulièrement agréable et un jeu intéressant dans la fermeté teintée de noblesse. La voix du ténor est agréable et homogène et le souffle est long comme il convient. La reine de la soirée, celle qui arrive à éviter les décalages et à résister au chef, – lequel la maltraite à chaque instant avec des tempi incorrects ne lui laissant aucune respiration (In quali eccessi haletant et destructuré ce soir mais plein de belles promesses), est la merveilleuse Maité Beaumont. Sa superbe voix de falcon est souveraine dans ce rôle ou la tessiture médiane et grave est si importante. Les aigus sont lumineux, le style parfait. Scéniquement, c’est le seul personnage avec Ottavio qui n’est pas stigmatisé par un comique forcé. Comment une perle pareille a pu être si peu choyée ? Nous tenons une Elvire de très grand talent qui avec un chef honnête apportera au rôle tout ce qu’il contient d’émotions contrastées.
Les choeurs ont été dignes, sachant rattraper bien des décalages (en évitant de regarder trop le chef). Ainsi, trois essais pour Don Giovanni dans la même production à Toulouse avec chaque fois un chef défaillant… Si nous étions un grand romantique nous évoquerions quelque malédiction… Il nous faudrait un Tugan Sokhiev pour retrouver la pleine théâtralité de ce chef d’oeuvre malmené et pourquoi pas une autre mise en scène plus sensible à toutes les dimensions de cet Opéra Roi, pour l’heure sans royaume à Toulouse !
Toulouse. Théâtre du Capitole, le 22 mars 2013. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Don Giovanni, Drama Giocoso en deux actes KV 527; Brigitte Jaques-Wajeman, Mise en scène; Emmanuel Peduzzi, Décors et costumes ; Jean Kalman, Lumières ; Avec : Christopher Maltman, Don Giovanni ; Alexey Tikhomirov, Le Commandeur ; Tamar Iveri, Donna Anna ; Dmitry Korchak, Don Ottavio ; Alex Esposito , Leporello ; Maite Beaumont, Donna Elvira ; Ipča Ramanović, Masetto ; Vannina Santoni, Zerlina ; Chœur du Capitole, Alfonso Caiani, chef de chœur ; Orchestre national du Capitole ; Attilio Cremonesi, direction.