samedi 19 avril 2025

Toulouse. Théâtre du Capitole, le 4 mai 2012. Rameau : Les Indes Galantes. Mise en scène et chorégraphie : Laura Scozzi. Christophe Rousset, direction

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Cela fera le buzz, c’est certain. Elle est incroyable cette coproducion du Capitole de Toulouse, de l’Opéra de Bordeaux et de Nuremberg ! Elle va faire des heureux ! Disons le d’emblée, c’est l’intelligence et la finesse de l’adaptation scénique de Laura Scozzi qui rendent fulgurante une œuvre qui théâtralement ne vaut pas la peine d’être jouée. On le dira franchement c’est le plus mauvais livret, carrément « bâclé », de tout ce que l’on peut donner sur une scène d’opéra. Aucune dramaturgie dans ce galimatias, véritable méfait, enchaînement insensé d’un prologue et de quatre entrées. Ce ballet est indigent, on le savait. Qu’il ne valait que par la riche partition des musiques de danse de Rameau aussi et que des suites en concert en donnaient le meilleur tout autant. Nous rendons donc grâce à l’intelligence, la culture, l’esprit de synthèse et la pertinence de Laura Scozzi qui signe la meilleure mise en scène « moderne » d’un opéra baroque qui se puisse espérer. Les décors sont somptueux celui de la forêt le plus émouvant, les costumes sont subtils et les lumières toujours complices. Les projections vidéo sont pleines d’humour et de sens : quelles courses faisons nous en avion autour du globe dans tous les sens !

Les Indes de Toulouse : Ouaahhhh !!!!!

La danse est moderne, limitée à l’essentiel et le mime est un sommet d’expression. Dès le lever de rideau le ton est donné et la surprise de découvrir des danseurs entièrement nus, fait suite au ravissement de regarder des corps humains sans que le ridicule ne vienne gâcher le regard ni une sexualisation de mauvais aloi. Ces corps ne sont pas bodybuildés ou anorexiques. Ces danseurs ont un corps « normal». Si j’osai je dirai un corps « au naturel » avec des geste d’une candeur, d’une simplicité et d’une pureté des origines. Même le couple âgé final est magnifique en sa nudité assumée. Le décor représente une forêt primaire tropicale de toute beauté, ils en sont les habitants primitifs heureux. L’arrivée de Bellone qui vient gâcher cette harmonie est représentée par une horde de touristes rappelant les méfaits de l’église en Amérique du sud, de l’armée de Conquistadors, puis des touristes en dollar et euro, braconniers et « ingénieurs déforestateurs », promoteurs sans scrupules… en quelques minutes le Paradis est souillé, les habitants affublés des signes de civilisation. L’argent c’est la Mort ! En un instant, tout en finesse, c’est le déroulement des siècles de gâchis occidental qui est sous nos yeux d’une évidence troublante. Chaque entrée sera ensuite une véritable recréation gardant l’esprit du livret mais non la lettre. Le Turc Généreux est presque sage, l’adaptation simple et belle nous fait voir la Turquie des plages, des oléoducs et des naufrages dans le Bosphore. Le Turc est occidental et sa clémence est probablement intéressée face à un Valère probable fils de milliardaire. Les Incas du Pérou, est le tableau de la violence la plus flamboyante. Le repère de narcotraficants est sinistre et le feu est bien réel sur scène produisant une sorte de terreur non feinte… la violence de l’homme pour la nature et son semblable devient lourde, l’ avilissement de la femme par l’homme tient en haleine. Il faut dire que théâtralement Nathan Berg en Huascar est d’une brutalité qui terrorise, et sa voix paraît immense. Les Fleurs, voit la dénonciation de l’esclavagisme, de la misogynie et de l’appétit sexuel bestial des puissants… Les Roses sont des femmes achetées comme des animaux dans un désert. Là aussi tout est suggéré et dénoncé avec finesse sans vulgarité mais sans concessions. Quant aux sauvages et bien que dire…. les sauvages, les plus terriblement fous ce sont les homo-faber du XXI° siècle…. C’est tout simplement nous dans un miroir…. La chaconne, dirigée de manière roborative sera l’occasion de vivre en accéléré une vie d’aujourd’hui, de la naissance du couple, en passant par le mariage, la naissance d’un enfant, l’adolescence, la maturité puis la vieillesse toujours dans un esprit de consommation qui tourne à vide. L’habitation stérile dans le magnifique immeuble, cage à poule de luxe, construit dans la superbe forêt… Tout se tient nous avons voyagé dans le temps et l’espace, course poursuite de l’amour mais aussi de la destruction de la vie et la perte du sens de la vie même. Rarement une mise en scène aura tant fait réfléchir le public sous prétexte de le divertir. Mentionnons comme fil rouge entre les entrées, le trio d’amours, mimes absolument géniaux, capable de faire naître des émotions puissantes, oscillant entre tendresse et moquerie mais arrivant toujours in extremis à sauver l’humanité. Le retour au Paradis perdu est jouissif !!!


L’intelligence et les yeux sont si constamment stimulés que les oreilles sont en quelque sorte secondaires. C’est mieux car l’orchestre de Christophe Rousset est haut dans la fosse mais faible en nuances et avare de couleurs. Les voix sont généralement de petites tailles et seul un quatuor de chanteurs-acteurs se hisse au sommet. Tout en haut le Huascar du baryton Nathan Berg est digne d’admiration pour son incarnation qui est quasi cinématographique. La voix est grande et les vocalises bien en place. Cyril Auvity est un ténor à la voix de soleil levant, au timbre de miel et à la projection confortable dans une élégance de chaque phrasé. Carlos et Damon sont des poètes égarés dans tant de violence. Julia Noikova brûle les planches en amour adolescent mutin et plus encore en Roxane icône sixties ravageuse, sorte de Marilyn matinée de Jackie Kennedy. Mais c’est en Zima que la tendresse se mêle au charme avec le plus de délicatesse. La projection vocale est chaque fois confortable et le fruité du timbre toujours sensuel. Hélène Guillemette est exposée dans trois rôles qui la mettent en difficulté dans les sur-aigus. Mais les notes centrales sont belles et l’actrice se renouvelle dans chacun des rôles. Les autres chanteurs sont agréables sans personnalité vocale saillante. L’ensemble est marqué par un jeux théâtral de grande qualité, exceptionnel à l’opéra, qui va certainement encore se développer après cette première. Les chœurs se taillent un beau succès public tant chaque intervention sur scène ou hors de vue est efficace, vocalement très homogène, toujours fluide et admirablement dite.

Une très belle production que chaque public de maison d’opéra devrait voir de par le monde tant l’éthique sous tendue par Laura Scozzi est généreuse et incontournable en cette période de Veau d’Or érigé et mondialement destructeur.

Toulouse. Théâtre du Capitole, le 4 mai 2012. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Les Indes Galantes. Opéra-ballet en un prologue et quatre actes sur un livret de Louis Fuzeliers. Version dite de Toulouse. Mise en scène et chorégraphie : Laura Scozzi ; Décors Natacha Le Gen de Kerneizon ; Costumes : Jean-Jacques Delmotte ; Ludovic Bouaud ; Video : Stéphane Broc ; Hélène Guilmette : Hébé, Phani, Fatime ; Aimery Lefèvre : Bellone, Alvar ; Julia Novikova : Amour, Roxane, Zima ; Judith van Wanroij : Emilie, Atalide ; Vittorio Prato : Osman ; Kenneth Tarver : Valère, Tacmas ; Cyril Auvity : Carlos, Damon ; Nathan Berg : Huascar ; Thomas Dolié : Adario ; Daphné Mauger, Juliette Nicolotto, Laeticia Viallet : les Amours. Les Talens Lyriques ; Chœurs du Capitole, chef de chœur : Alfonso Caiani ; Direction : Christophe Rousset.
Illustrations: Patrice Nin © 2012

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