Tourcoing. JS Bach : Messe en si. JC Malgoire. Les 16 et 18 janvier 2015. Jean-Claude Malgoire et ses troupes abordent la montagne magique du Baroque sacré : un massif spectaculaire et intime, juste et profond d’une diversité d’approche souvent déconcertante. Même hétéroclite, composée de multiples partitions d’époque diverses, l’œuvre qui en résulte et que Bach n’a jamais écoutée comme nous aujourd’hui d’une seule traite, captive par son unité et sa cohérence.
Le chef-d’œuvre de Bach ? Au regard du génie et des sommets atteints par le Cantor de Leipzig, gardons-nous de tout absolu. Mais cette œuvre (nommée Messe en si mineur alors qu’elle est principalement en Ré majeur !) est symbolique à plus d’un titre. Tout d’abord, elle est la dernière composition pour chœur de Bach. De plus, elle incarne la somme du style baroque à son apogée, mais aussi de la polyphonie façon Machaut ou encore des modes et teneurs antiques. Enfin, son histoire n’est pas ordinaire. Composée durant près de 25 ans, elle réunit des partitions d’époques différentes, l’Allemand ayant puisé dans ses œuvres antérieures et ajouté des créations originales – dont les chœurs du Credo. Le résultat ? Une messe de liturgie catholique pour deux sopranos, un contralto, un ténor, une basse, un orchestre et un chœur. Cette pièce-phare conclut depuis des années le festival Bach de Leipzig mais n’avait pas été jouée par l’Atelier depuis près de quinze ans.
Le souffle solennel voire funèbre qui emporte le Kyrie introductif; le Gloria impétueux dont les trompettes claironnantes disent ce sentiment de jubilation festive adressé au nouveau Roi de Pologne (Auguste III); le mystère de l’Et incarnatus est (et sa tierce picarde dans ses 5 dernières mesures); l’exclamation des choeurs, la guirlande des cordes, flûtes et hautbois, sans omettre la prière individuelle si intérieure, entre sérénité et inquiétude (Benedictus pour ténor, Agnus Dei pour alto)… tout est dans la Messe en si mineur, une affaire de défis, de risques à surmonter, d’épreuves à vaincre, d’options à assumer (que l’on opte pour l’option des chanteurs à un par voix)…
Il faut bien l’expérience et le feu sacré d’un chef aguerri pour atteindre les fervents sommets d’une montagne magique, monument de la musique sacrée baroque comprenant 21 sections , -dont Kyrie et Gloria sont les plus anciens, remontant aux années 1730).
Le chef doit transmettre sa passion du timbre et de la sonorité, de la respiration, du flux… sans diluer ni affaiblir l’intensité de la prière collective ou solistique.
La Messe en si de Jean-Sébastien Bach
Le Grand oeuvre (1724-1749)
La Messe en si est une partition monumentale que porte l’auteur pendant 25 ans: c’est l’oeuvre d’une vie, l’aboutissement d’une écriture et d’une expérience musicale portée tout au long de la carrière et de la vie, comme un journal. Bach y dépose toute sa science et sa sensibilité, mais ne l’entendit jamais de son vivant.
Director Musices de Leipzig, Bach doit fournir nombre de musique pour les églises de Saint-Thomas et de Saint-Nicolas, assurer la formation des élèves à Saint-Thomas, mais aussi l’ordinaire musical de la ville entière, pour tous les événements de la vie social. On comprend aisément que le compositeur fut capable d’une organisation méthodique qui comprend le recyclage de sa musique (principe parodique), diversement utilisée selon les circonstances. Le compositeur municipal est en outre depuis 1729, chef d’orchestre, dirigeant le Collegium musicum, fondé par Telemann.
Fort heureusement si l’on peut dire, alors qu’en cette année 1733, Rameau fait son entrée à l’opéra avec son chef d’oeuvre scandaleusement génial, Hippolyte et Aricie, le patron du musicien, Frédéric Auguste Ier, prince électeur de Saxe, meurt le 1er février. Le deuil institué pendant 5 mois interdit toute musique. Bach peut ralentir le rythme.
Un poste à Dresde…
Le changement de prince régnant laisse espérer un meilleur traitement et surtout des salaires mieux payés, car comme Monteverdi à Mantoue au siècle passé, Bach a du mal à se faire livrer les sommes qui lui reviennent pour ses nombreux services. Aussi décide-t-il de commencer une oeuvre grandiose, dédiée à son nouveau protecteur, Frédéric-Auguste II. De Leipzig où il se sent à l’étroit non reconnu, comme relégué, Bach adresse sa partition nouvelle à Dresde, siège de la Cour de Saxe, tout en formulant son désir d’être membre de la Chapelle de la Cour (d’autant que son fils Wilhelm Friedmann a obtenu à Dresde, un poste enviable d’organiste). La messe catholique célèbre la ferveur du Souverain dresdois qui est aussi Roi de Pologne sous le nom d’Auguste III. Bach n’est pas pour autant dépaysé par la liturgie catholique car dans le cadre luthérien peuvent être aussi écoutés Magnificat et Sanctus à Noël, pour Pâques, à la Pentecôte. Le Kyrie (perfection du style fugué) et le Credo ainsi livrés en 1733 (formant une messe latine conforme, mais brêve selon l’usage luthérien, c’est à dire sans Gloria, Sanctus et Agnus Dei), forment la première moitié de notre actuelle Messe en si. Bach y recycle des choeurs déjà écrits provenant des cantates BXV 29 et 46.
Synthèse artistique
Mais le compositeur ne laisse pas son grand projet en chemin. il ajoute le Sanctus qui puise dans une partition liée à la Nativité, datant de 1724. Ensuite, celui qui au soir de sa vie, est engagé dans son testament musical sur le mode strictement instrumental, L’art de la fugue, dans les années 1748/1749, écrit la seconde moitié de la Messe en si.
Sorte de catalogue de toutes les écritures dont était capable le musicien, l’ensemble concentre la maîtrise d’un Bach universel, encyclopédique, synthétique. Peut-être destinait-il son oeuvre à Auguste III, souhaitant plus que jamais quitter Leipzig pour Dresde… Ou encore s’agit-il d’une commande privée dont la monumentalité est liée au goût et à la volonté du Comte Johann Adam von Questerberg (mort en 1752), riche mélomane, membre de la Cour impériale Viennoise qui aurait pu financer le grand oeuvre choral du musicien toujours en quête de projets audacieux.
J.-S. Bach : Messe en si
La Grande Ecurie et la Chambre du Roy
Jean-Claude Malgoire, direction
vendredi 16 janvier 2015, 20h
dimanche 18 janvier 2015, 15h30
Tourcoing, Théâtre Municipal Raymond Devos
Lundi 16 mars 2015, 20h
Paris, Théâtre des Champs Elysées
Olga Pasichnyk, soprano
Anne Magouët, 2ème soprano
Jean-Michel Fumas, contreténor
Robert Getchell, ténor
Alain Buet, baryton-basse