vendredi 25 avril 2025

Tours. Opéra, le 15 octobre 2010. Beethoven: Fidelio. Mireille Delunsch (Leonore), Scott Wilde (Rocco).Orch. Symphonique Région Centre. Jean-Yves Ossonce, direction. Marion Wassermann, mise en scène

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Rares les oeuvres qui parlent d’amour en une forme éruptive, explosive, laissant à l’orchestre le soin de ciseler sur le sujet une rage peu commune. A ceux qui trouvent déjà les finales des opéras de Cherubini, habités, nerveux, frappés par un caractère d’urgence (voir ici l’enjeu de la récente résurrection de Lodoïska (1791) initiée par le très actif Centre de musique romantique française Palazzetto Bru Zane, producteur d’un exceptionnel festival Luigi Cherubini en octobre et novembre 2010), l’écriture de Beethoven adaptée au geste théâtral et lyrique, paraîtra spectaculaire et passionnée: irrésistible. C’est naturel: elle l’est bel et bien, faisant entrer l’opéra dans la modernité par la case romantique. D’ailleurs, en assistant à la création de Lodoïska à Vienne, Beethoven s’enthousiasme et reprend de l’héroïne polonaise ce portrait musical saisissant de détermination et de fidélité. Il en résulte Léonore, modèle d’abnégation et de loyauté à son époux, en cela descendante directe d’une Alceste et comme elle, actrice de sa vie, capable d’approcher et de vivre l’enfer, pour y retrouver et sauver son mari, Florestan.
Monter l’oeuvre en terre tourangelle revêt un caractère spécial: l’héroïne a réellement existé: elle fut originaire de Tours, osant délivrer son époux des geôles de la Terreur. De son vrai nom, Blanche de Semblançay réussit effectivement à obtenir la liberté pour celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer.


De l’ombre à la lumière

De ce fait avéré, les créateurs font un ouvrage qui revisite l’intensité et la grandeur de la tragédie antique. Dans le cas de Beethoven, qui réalise son projet d’opéra par de nombreuses esquisses préalables (dont pas moins de 3 versions différentes rien que pour l’ouverture!), l’orchestre porte cette arche incandescente: la partition profite des ultimes avancées formelles du plus grand symphoniste romantique: toute la fosse déborde de cette fureur constellée d’éclairs et de tempête.
La valeur de la présente production présentée à Tours, vient essentiellement de l’orchestre. Jean-Yves Ossonce, récemment récompensé pour sa superbe résurrection de l’opéra de Séverac, le Coeur du Moulin retrouve des couleurs, de subtiles phrasés, une vision remarquablement dramatique, qui donne à entendre la série de précipités scéniques, de traits fulgurants qui font de Fidelio, une page surtout orchestrale.
Le climat de terreur lié à l’enfermement dans la prison, le caractère diabolique de Pizzaro, figure satanique ivre de vengeance et de haine qui ne peut se déplacer sans une dague à la main (Peter Sidhom pervers à souhait), les épisodes purement instrumentaux (préambule au grand air de Florestan au début du II): tout cela est ajusté avec un soin d’orfèvre qui se bonifie en cours de soirée.
Comme un digne fils des Lumières, Beethoven semble faire son miel des opéras mozartiens, offrant même à La Flûte le prolongement de son idéal humaniste et fraternel quand le Prince (Don Fernando) surgit dans la dernière scène, dissipant toute ombre comme toute menace: les paroles du livret, mais aussi l’exaltation jusqu’à l’ivresse de l’orchestre libérateur trouvent ici un brillante éclairage.


Wilde épatant

Attendue dans le rôle titre, Mireille Delunsch a souvent du mal à incarner dans la continuité la figure de l’amoureuse idéale, souvent malmenée par les échelles passionnées de son rôle (le point le plus élevé étant lorsqu’elle révèle son identité dans la cellule de Florestan quand Pizzaro s’apprête à assassiner le captif) : on ne croît que bien rarement à son interprétation. Vocalement incertaine pendant tout le premier acte, quoique plus affirmée par la suite; mais les aigus sont souvent tendus et son profil expressif laisse une impression en demi teintes.
A l’opposé, quel aplomb vocal, dramatiquement à l’aise, évident même par sa vérité et sa force expressive que celui du Rocco de Scott Wilde (formé à la Juilliard School de New York): si tous les rôles étaient servis par le même feu nous eussions assisté à une soirée d’exception. Il y a du bon père aimant dans ce personnage de basse chantante, mi Zarastro mi Osmin: on ne cesse de croire à la sincérité de celui qui est prêt à marier sa fille Marzelline (ardente Sabine Revault d’Allonnes) avec Léonore/Fidelio. Sa justesse n’en rend que plus déchirante la scène où le duo qu’il compose avec Léonore, descend dans la cage de Florestan pour y creuser sa tombe… Même engagement vocal pour les choeurs, parfaits de bout en bout.

Ce qui se passe sur scène est loin d’ennuyer: Marion Wassermann qui a déjà travaillé sur l’opéra beethovénien (à Nantes entre autres) restitue le climat d’étouffement et de peur qui pèse sur l’humanité livrée à la barbarie de Pizzaro au I; en transposant l’action en 1940, dans un camp d’extermination, le résultat est visuellement efficace; on reste moins convaincu par son option de faire mourir Léonore au II (poignardée par l’abject Pizzaro)… quitte ensuite, à lui faire chanter tout le final et son duo avec Florestan. La toile peinte qui sert de préambule et de voile conclusif à l’action cite les grandes fresques des Primitifs italiens (Giotto?): des anges pleins de compassion s’y dévoilent en sauveurs des âmes éprouvées. De ce point de vue, l’horreur du sujet éclate sans complaisance et même si le travail des contrastes entre l’ombre et la lumière était bon, le déroulement scénique aurait gagné en impact avec davantage de … lumière. De même pourquoi ajouter la récitation de textes censés souligner cet amour illimité qui porte Léonore vers son mari et vice versa? Leur déclamation retarde l’urgence de la musique. Et de musique, Fidelio en regorge tel un volcan. Jean-Yves Ossonce en fait couler la lave embrasée. Rien que pour son travail avec les musiciens de l’Orchestre Symphonique Région Centre Tours, la production d’octobre 2010 vaut évidemment le déplacement.

Tours. Opéra, le 15 octobre 2010. Beethoven: Fidelio (1814). Mireille Delunsch (Leonore), Sabine Revault d’Allonnes (Marzelline), Scott Wilde (Rocco), Peter Sidhom (Pizzaro), Stanislas de Barbeyrac (Jacquino), Jean-Francois Monvoisin (Florestan). Choeurs de l’Opéra de Tours. Orchestre Symphonique Région Centre Tours. Jean-Yves Ossonce, direction.
Marion Wassermann, mise en scène.

Illustration: Scott Wilde (DR). Photos de la production de Fidelio 2010 à l’Opéra de Tours © F.Berthon

1. Mireille Delunsch et J.-F. Monvoisin: Leonore et Florestan
2. Pizzaro, Marzelline et Rocco: Peter Sidhom (agenouillé), S. Revault d’Allonnes et Scott Wilde
3. Les prisonniers dans le camp
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