A chaque début d’année, place à l’espoir et aux bonnes résolutions. Si la France atteinte par un déficit abyssal jamais vu, commence de ronger voire détruire ce qui faisait fièrement son « exception culturelle » [à coup de coupes budgétaires jamais vues jusque là…], les 50 ans du Sistema montre à l’inverse la pérennité d’un modèle artistique et social qui s’est inscrit au Venezuela tel un emblème national.
Le dispositif perdure au delà des contingences politico-économiques. En soulignant la réussite exemplaire du Sistema, le maestro franco brésilien Bruno Procopio souligne les mérites du Systema vénézuélien avec d’autant plus de justesse qu’il a contribué et contribue toujours à son activité : régulièrement invité comme chef, Bruno Procopio apporte sa connaissance du Baroque français entre autres, que les instrumentistes vénézuéliens continuent d’explorer sous sa conduite… Alors que les politiques français n’hésitent plus à sacrifier la culture, le Venezuela affirme à l’inverse une continuité et un engagement qui considèrent toute offre culturelle autrement que comme une variable d’ajustement. A l’occasion de la tournée européenne du Sistema pour ses 50 ans, dont une escale déjà très attendue à Paris [Philharmonie de Paris, concerts événements les 11 et 12 janvier 2025, lire ci-après], Bruno Procopio pose les bonnes questions, en rappelant que le Sistema incarne aujourd’hui plus qu’hier, un modèle admirable que la France gagnerait à suivre, autant sur le plan artistique, social qu’économique.
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tribune
Bruno Procopio :
« Oui, il faudra avoir du courage ! »
Cette année, le Sistema des orchestres du Venezuela célèbrera ses 50 ans. Depuis douze ans, j’ai eu l’immense privilège de diriger des formations telles que l’Orchestre Symphonique Simón Bolívar, avec lequel j’ai enregistré un album dédié à Rameau, couronné de succès, et l’Orchestre Baroque Simón Bolívar, que j’ai contribué à créer au sein du Sistema. Voilà douze années que la musique française a trouvé au sein du Sistema une place honorée et essentielle. Elle a contribué de manière significative à l’évolution musicale de ces orchestres, témoignant de son importance et de son rayonnement dans ce contexte unique. Des compositeurs comme Rameau, Gossec, Méhul, Reicha, et tant d’autres font désormais partie intégrante du répertoire des orchestres vénézuéliens.
En avril 2025 prochain, j’aurai l’honneur de diriger à Caracas l’un des concerts anniversaires. Cet événement, qui sera largement couvert par la presse internationale, marquera également la tournée européenne de l’Orchestre Symphonique Simón Bolívar sous la direction de Gustavo Dudamel.
Face à cette réussite, symbole de persévérance et de vision collective, je ne peux m’empêcher de réfléchir à la situation actuelle de la musique classique en France. Le Sistema, né de l’ambition presque utopique du Maestro José Antonio Abreu de transformer la société par la musique, reste aujourd’hui un modèle. Malgré les immenses défis auxquels le Venezuela fait face – crises politique, économique et sociale – le Sistema continue de produire des orchestres d’un niveau exceptionnel et de tracer un cap clair pour une nouvelle génération de musiciens.
En France, nous vivons un tout autre moment. Les baisses de subventions ne sont pas seulement une menace pour le fonctionnement des institutions culturelles ; elles révèlent une crise plus profonde : une perte de sens et de direction. La musique classique, dans ses formes actuelles, semble s’effacer des priorités de la société et, par conséquent, des agendas politiques.
Mais ce déclin n’est pas uniquement financier. Il traduit une crise de vision, une absence de narration mobilisatrice. Il manque à notre pays un projet audacieux, une ambition capable de réinventer la place de la musique classique dans le monde contemporain. En tant que musiciens, nous portons cet art à bout de bras par notre engagement quotidien. À nous d’être les leaders qui rappellent que la musique classique n’est pas un luxe, mais une force vivante, une puissance de transformation sociale et culturelle.
Le Sistema nous enseigne qu’un projet collectif peut traverser les pires tempêtes si l’on garde une vision et un cap. La musique classique n’aura pas, comme jadis, une Cathédrale pour nous sauver du bûcher. Ce qui nous sauvera, c’est notre créativité, notre audace et notre solidarité.
En 2025, ne laissons pas notre héritage musical sombrer dans l’oubli. Oui, il faudra du courage et une bonne dose de créativité, mais nous en sommes capables. Comme l’a prouvé le Venezuela, une vision claire et partagée peut tout transformer.
Pour ma part, je suis prêt à relever ce défi. Et vous ? »
Bruno Procopio – chef d’orchestre & claveciniste
agenda
PARIS, Philharmonie, le 11 janvier 2025
Concert Marianne Crebassa, Yuja Wang, Orchestre symphonique Simon Bolivar, Gustavo Dudamel. Abreu (Sol que das vida a los trigos, Luz Tú), Mahler (Symphonie n°3).
Infos & réservations : https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert-symphonique/27474-orchestre-symphonique-simon-bolivar-gustavo-dudamel
Même programme : LUXEMBOURG, Philharmonie, le 18.
PARIS, Philharmonie, le 12 janvier 2025 (16h)
Lorenz (Todo Terreno), Grau (Odisea – Concerto pour cuatro et orchestre), Tchaikovski (Concerto pour piano n°1), Ravel (Boléro).
Infos & réservations : https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert-symphonique/27710-orchestre-symphonique-simon-bolivar-gustavo-dudamel
Même programme : LUXEMBOURG, Philharmonie, le 19.
BRUXELLES, Bozar, le 23.
Tournée des 50 ans du SISTEMA, concerts aussi à Londres, Berlin, Munich, Madrid…