dvd, critique
Verdi: Traviata par Natalie Dessay (Aix 2011)
1 dvd Virgin classics
Au début, chez Flora, la cocotte délurée et blasée accumule tics et mimiques au bord de l’hystérie. Le jeu est caricatural… c’est pour mieux exprimer ce malêtre social, né de l’hypocrisie bourgeoise qui est au coeur de la tragédie de Violetta/Alphonsine. Femme entretenue certes… mais esclave érotique, prise au piège de sa propre séduction, la jeune femme au sommet de sa jeunesse triomphante est déjà une âme usée, détruite, sérieusement éthylique (sirotant dès qu’elle en a l’occasion, une bouteille de vodka, au goulot).
La « Dessay » cisèle son personnage avec beaucoup de caractère et d’aplomb: radicalité vocale et démonstrative pendant tout l’acte I, elle porte le masque de la courtisane forte et dominatrice; mais son « è strano » libère la fragilité d’une adolescente qui s’ouvre au pur amour de… Rodolfo. Puis confrontée à l’ordre moral qui surgit avec Germont père au II, la femme heureuse se sacrifie avec une dignité de martyr: peu à peu, à la théâtralité omniprésente au I, l’opéra et le chant reprennent leur place au II et c’est peu, à peu le visage d’une femme condamnée mais lucide qui se dévoile: à mesure que le jeu se dépouille, l’intelligence de la cantatrice gagne en intensité et en justesse… jusqu’au III, où la mort de la dévoyée atteint un tableau déchirant telle une épure tragique.
Grandiose.
Divine Dessay
Natalie Dessay éblouit dans un rôle qu’elle comprend naturellement et qu’elle incarne avec une sensibilité transcendante; à ses côtés, le Rodolfo de Charles Castronovo reste bien terne (et sans l’éclat de couleurs aussi riches que sa partenaire, ni les aigus requis); d’une froideur morale stupéfiante, Ludovic Tézier offre à Germont le père, la stature d’un patriarche bourgeois plus raide que la justice mais d’une vocalità souveraine qui en fin de confrontation se montre au même diapason que sa victime… humain, ému, saisi.
Hélas, dans la fosse, la direction de Louis Langrée est tristement prosaïque sans aucune subtilité. Quel dommage: si la Dessay avait pu s’appuyer sur un vrai chef, la captation eut été historique.
Pour le reste, le dispositif scénique et les options théâtrales ne rencontrent que rarement l’action lyrique: tout paraît déjà vu, usé et rapporté : la scène ouverte dès le lever de rideau, les acteurs en costumes de ville prenant peu à peu l’identité de leur personnage, ces figurants en fond de scène, ce « théâtre » toujours visible, dans l’opéra finissent par agacer… s’il n’était la diva charismatique et son chant superlatif pour évacuer tout l’anecdotique et le superflu. Quelle diva ! Dessay est Traviata.
Giuseppe Verdi : La Traviata. Mélodrame en 3 actes de Francesco Maria Piave. Créé à Venise (Teatro la Fenice) le 6 mars 1853. Violetta Valéry:Natalie Dessay. Alfredo Germont:Charles Castronovo. Giorgio Germont: Ludovic Tézier… London Symphony Orchestra. Direction musicale: Louis Langrée. Mise en scène: Jean-François Sivadier