mardi 22 avril 2025

Verdi: Simon Boccanegra (Domingo, Pappano, 2010)2 dvd Emi classics

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Verdi: Simon Boccanegra
(Domingo, Pappano, 2010)

Verdi donne aux barytons, un rôle idéal dans Simone Boccanegra: c’est un personnage qui force l’admiration par sa profondeur et sa progression émotionnelle durant l’opéra. Héros roturier, Simon, connu comme corsaire défendant les intérêts génois en Méditerranée, devient le premier doge d’origine populaire, élu par le peuple de Gênes.
Un destin marqué par la noblesse d’un homme qui porte chevillé au corps, les idéaux du Risorgimento, – cet idéal à la fois politique et humaniste, contre l’oppression des faibles, pour la liberté et la paix d’une société juste et égalitaire.
Le corsaire devient tyran (25 années se déroulent entre le prologue qui est la scène de son élection, et le temps de l’action proprement dite quand il retrouve sa fille)… puis le père, exaucé, retrouvant sa fille, bascule en devenant l’homme républicain le plus vertueux qui soit… un être de clémence et de pardon qui sait pardonner à ses ennemis, les Grimaldi.
Le héros incarne en réalité les engagements politiques de Verdi lui-même qui au moment de la composition de Boccanegra (fin des années 1850) puis au moment de ses révisions (au début des années 1880) avec Arigo Boïto, demeure soucieux de vertu républicaine, d’intégrité citoyenne, en compositeur libéral, très proche du peuple (il sera même outré par le silence de l’église romaine quand au massacre des communards, martyrs parisiens…).
Avec Boccanegra, Verdi fait montre d’une incroyable et exceptionnelle conscience politique: un cas unique dans l’histoire de l’opéra romantique tardif.

A Londres, sur la scène du Covent Garden, en juillet 2010, Placido Domingo éblouit dans un rôle scénique qui lui va comme un gant: profondeur émue et engagée d’un timbre à nul autre pareil, style irréprochable même en dépit des limites d’une voix mûre et qui n’a plus la vaillance ancienne: le ténor chante le rôle du baryton verdien avec un tact, une humanité, un souffle… exemplaires. Parce qu’il a l’âge de son rôle, Domingo éblouit par la vérité et la sincérité de son chant.
En lui palpite un coeur noble, celui du héros politique, héritier de tous les serias du XVIIIè, colorés par l’idéal des lumières. Pacifiste et humaniste, autoritaire et vertueux, le doge Boccanegra est aussi dans l’opéra, un être qui a souffert (il a perdu celle qu’il aimait, Maria Grimaldi, dès la première scène du prologue au moment où il est élu à la charge suprême), il est surtout un père pour Amelia, jeune femme qui refait surface après avoir disparu: Verdi cisèle le portrait d’un être vraisemblable, doué de passions, d’engagement, soucieux de justice, proche du peuple, un démocrate idéal. Quelle leçon pour l’Italie de Berlusconi !
Même Verdi qui fut parlementaire au premier parlement de la jeune République italienne, puis nommé sénateur honoraire, regrettait amèrement de son vivant que les héros de la Révolution de 1848, se soit fourvoyés dans les scandales et la corruption, mal de la nation italienne toujours vivace.
La production londonienne est parfaite à plus d’un titre: le chef Pappano porte la fièvre et la tension d’un vrai grand drame politique et humain. Les décors sont clairs, la direction d’acteurs, classique et lisible.
Le plateau proche de l’idéal: Ferrucio Furlanetto fait un Fiesco/Grimaldi, père endeuillé de Maria, et rival haineux de Boccanegra, ivre de ressentiment et de revanche. Joseph Calleja, ténor plein d’avenir, illumine par la couleur de son timbre si musical, (phrasés ciselés, mezza voce délectable, celle d’un chambriste délicat et raffiné, pas d’un stantor de la puissance tendue et forcée…) en un Adorno, qui fiancé à la fille du doge, de son ennemi déclaré se fait, son plus fidèle champion (là aussi quelle revirement psychologique); Seule l’Amelia de Marina Poplavskaya déçoit un peu: l’angélisme et ce coeur pur, infiniment romantique, d’une loyauté sans faille pour son père, manque de certitude tendre et d’hallucinante piété. La voix est trop sombre, le style schématique n’a pas le fini ni la finesse de ses partenaires. Dommage. Réécoutez ici ce qu’ont apporté au rôle Montserrat Caballe (à Orange) ou Kiri Te Kanawa sous la direction de Solti, sur la même scène dans les années 1980...

Dans la fosse, le chef Pappano qui sert aussi de guide pour les spectateurs, commentateur communicatif et jovial pour entrer dans une intrigue parmi les plus complexe de Verdi, sert le drame collectif du peuple de Gênes, et la ferveur individuelle, celle de Boccanegra avec un sens réel des transitions (voyez ce passage où Simon découvre le corps glacé de son aimée Maria et dans le même instant, est élu Doge…); même fougue ardente pour la scène capitale du Conseil (2è tableau de l’acte I après les retrouvailles du père et de la fille dans le palais Grimaldi) où le maestro met en lumière la musique de révolte (celle des plébéiens dont la clameur monte jusqu’à la salle qui réunit les politiques), le chant pacifiste de Simon (hymne à la paix avec Venise, militant pour une politique de la main tendue, vibrant défenseur pour le parti de l’amour) et sa malédiction autoritaire… Dans ce tableau saisissant, Verdi souligne les divergences de vue entre les attentes du peuple et l’acharnement des politiciens sensés servir la volonté populaire… Voici un opéra de confrontations et d’opposition individuelle très forte et prononcée, dont la plus violente reste justement la conclusion du I, quand Boccanegra oblige celui qui l’a porté jusqu’au trône, Paolo, à répéter sa propre malédiction. D’un côté, le politique vertueux qui a choisi de servir le bien; de l’autre, le serpent manipulateur qui soutient le doge uniquement pour obtenir plus de pouvoir… Dommage cependant que Pappano manque parfois de finesse dans les climats millimétrés d’un Verdi crépusculaire et sombre, fulgurant et Shakespearien.
Verdi nous lègue à la fin au début des années 1880, une nouvelle version de son chef d’oeuvre: c’est une réflexion certes politique, mais surtout humaine. Dans le portrait de Simone Boccanegra se précise sa conception de la solitude de l’homme de bonne volonté dont la conscience tourmentée exprime un esprit de compassion et de fraternité exemplaire. Comme dans Un Bal Masqué, autre opéra du début des années 1880, Verdi imagine un politique vertueux sacrifié: si le souverain y meurt assassiné (Gustave III de Suède), Simon s’éteint à petit feu, rongé par un poison servi dans son verre depuis des lustres (par l’infâme et maffieux Paolo). Le vieux lion porté par son idéal s’éteint en source de bonté et de perfection humaine. Quel message pour l’humanité corrompue. La réussite de la présente production laisse entrevoir l’ambition humaniste et politique de Verdi. Un très grand spectacle servi dans le rôle titre par un interprète époustouflant de vérité et de subtilité, vocales comme dramatiques. La longévité de Placido Domingo ténor devenu baryton, étonne et captive. Le directeur de l’Opéra de Los Angeles accumule les prises de rôles récentes, après The First Emperor, le voici en Postino (Pablo Neruda, création parisienne au Châtelet en juin 2011 dans une production déjà donnée à Los Angeles en création mondiale en septembre 2010)… Défis inouïs relevés avec style et splendeur d’autant que le chanteur souffle le 21 janvier 2011, ses … 70 printemps. Un modèle pour les chanteurs contemporains. Dramaturge génial, Verdi surprend ici par son souci de vérité psychologique et sa conscience politique.

Giuseppe Verdi (1813-1901): Simon Boccanegra, version de 1881, révision d’Arrigo Boïto. Placido Domingo (Boccanegra), Marina Poplavskaya (AMelia), Ferruccio Furlanetto (Fiesco), Joseph Calleja (Adorno), Jonathan Summers (Paolo), Lukas Jakobski (Pietro)… Royal Opera chorus, orchestra of the Royal Opera House Covent Garden, Londres. Antonio Pappano, direction. Elijah Moshinsky, mise en scène. 1 dvd Emi classics, 5 099991 782595. Londres, Royal Opera House Covent Garden. 2h51mn. Enregistré en juillet 2010. Parution: courant janvier 2011

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