Verbe théâtral
Force est de reconnaître que comparée aux fastes de Lully, la musique de Charpentier, synthèse raffinée entre l’Italie et la France, et première fusion réussie dans ce principe avant l’apothéose des goûts réunis de François Couperin après lui, rehausse davantage l’éclat chromatique du décor de la Chapelle, l’une des architectures sacrées baroque les plus spectaculaires; à la solennité du lieu, le plafond peint, l’ornement sculpté en bas relief au rez de chaussée, les ors délicatement posés sur le grand orgue et la décoration centrale de l’autel nuancent le concept du grandiose versaillais; le détail colore le grand oeuvre. Et la musique, si tendre et humaine de Charpentier apporte cet élément des plus bouleversants dans un massif taillé pour l’éternité et conçue pour la gloire divine. Aux néovénitiens, La Fosse, Coypel entre autres, peintres de la dernière manière du règne de Louis XIV, répondent déjà l’équilibre si délicat de l’orchestre et des voix de Charpentier, celui de la pleine maturité c’est à dire des années 1680. Les programmes accréditent les correspondances entre ses Histoires sacrées et ce travail esthétique si particulier à la Chapelle. Une interaction musique et architecture qui trouve à Versailles, sa réalisation la plus convaincante.
Les Arts Florissants embrasent la Chapelle
Les deux premiers concerts de cet automne, les 6 et 7 octobre 2012 soulignent l’oeuvre de Charpentier, sa singularité musicale apprise à la source de Carissimi à Rome et nourrie par l’exigence du texte: un texte dont l’articulation souvent dramatique désigne ce style français spécifique et aussi, la présence de l’opéra dans le répertoire sacré. Il s’agit bien d’Histoires Sacrées, véritable opéras bibliques dont il ne manque que la mise en scène pour saisir visuellement les spectateurs; et dont la courte durée renforce encore dans leur déroulement comme « précipité », l’impact expressif et le sens des actions.
Ce cycle » Marc-Antoine Charpentier et l’art sacré » lance très officiellement la saison de Centre de musique baroque de Versailles 2012: un nouveau cycle de découvertes marqué par la musique sacré à la Chapelle royale, l’histoire du ballet français, l’évolution de la tragédie lyrique à l’époque de Marie-Antoinette. La nouvelle saison musicale du CMBV au Château de Versailles a lieu jusqu’à la mi décembre 2012.
Le concert du 6 octobre dévoile l’engagement des troupes d’Olivier Schneebeli dans la défense d’un répertoire pour lequel le directeur musical des Pages, Chantres et symphonistes du CMBV reste soucieux des couleurs, du flux dramatique, de la projection du verbe théâtral. Du plateau se détache l’excellente soprano tchèque, Dagmar Saskova dont l’intériorité du chant jusqu’à la gestuel illumine le personnage de Judith: puissance et articulation, style maîtrisé et progressif toujours au service du texte: ses années d’apprentissage au sein de la Maîtrise du Centre de musique baroque de Vesailles ont porté leur fruit; demain la cantatrice sera une grande voix recherchée pour son intelligence du chant et son style particulièrement raffiné. Egalement ex chantre du CMBV, le haute-contre d’origine chilienne, Erwin Aros défend le texte avec une conviction ardente, toute aussi articulée, auprès de ses confères masculins dont le toujours impeccable Jean-François Novelli. Le chef sculpte l’arête expressive des tableaux en particulier après Judith, le début du Massacre des innocents qui exige de tous les pupitres, chanteurs (pages, chantres et solistes dont l’Hérode de la basse-taille Arnaud Richard, plein de hargne infanticide) et instrumentistes.
Le lendemain, dimanche 7 octobre à 17h, place aux Arts Florissants et William Christie dans un nouveau triptyque Charpentier: au chœur familier, aux instrumentistes requis se joignent les derniers élèves les plus prometteurs du Jardin des Voix: Rachel Redmond (enivrante Caecilia) et Reinoud van Mechelen (Tiburtus puis le fils prodigue). Deux jeunes voix que l’on a pu récemment écouter lors de la première édition du festival de William Christie en Vendée (Acis et Galatée de Haendel sur le miroir d’eau à Thiré) : » Dans les jardins de William Christie « , 28 août-1er septembre 2012.

A la fois, acteurs dramatiques portés par le souffle de » Bill » (William Christie), les chanteurs, choristes et solistes (car c’est ainsi que les musiciens apprennent leur métier au sein du groupe) savent aussi restituer la grâce du rituel. Aux côtés du martyre de Cécile et de L’Enfant Prodigue, le chef fondateur des Arts Florissants, a choisi le Motet pour les trépassés, une partition inoubliable par sa force et sa profondeur dramatique, à laquelle William Christie préserve l’éclat et la profondeur du recueillement le plus humain. Jamais décoratif et pourtant capable d’une sonorité flamboyante, sachant tirer profit de l’acoustique du lieu et comme porté lui-même par l’architecture qui est élévation, le chef des Arts Florissants rend le plus bel hommage au compositeur qui a donné le nom de l’Ensemble: c’est à la fin du concert, le sentiment plein et grandiose de la plénitude sonore, superbement articulé, qui s’impose; geste nuancé et investi, sonorité royale et style intensément humain: les Arts Florissants sont chez eux à la Chapelle Royale.
Prochain concert à la Chapelle Royale: samedi 13 octobre 2012; Hervé Niquet dirige chanteurs et instrumentistes du Concert Spirituel dans un programme emblématique des fastes liturgiques de la fin du XVIIè siècle. Aux côtés de Lully, paraissent les oeuvres raffinées de Charpentier (dont le sublime Magnificat H 75) et de Louis Le Prince, maître de chapelle de la Cathédrale de Lisieux, dont le chef ressuscite la Messe Macula non est in te de 1663. C’est un témoignage inédit de la ferveur régionale toute autant superbement articulée que les oeuvres sacrées présentées à Paris ou à Versailles devant le Roi. Opulence de la matière orchestrale, plénitude et accents dramatique des voix solistes, vertiges choraux… Hervé Niquet éclaire la musique sacrée française à Versailles dans un lieu central du règne: la Chapelle Royale.
Charpentier: Histoires sacrées I et II. Olivier Schneebeli, direction
(le 6 octobre: Judith, Le jugement dernier, Le Massacre des Innoncents. Les pages, les chantres, les symphonistes du CMBV). William Christie, direction (le 7 octobre: Cécile vierge et martyre, Motet pour les trépassés, L’Enfant prodigue. Les Arts Florissants).