12 ème Week-end Voyage d’Hiver.
Mozart et les 3 Viennois
Lyon, Salle Molière, Musée des Beaux-Arts.
Du 18 au 20 janvier 2008
Il y a bien des manières de voyager en hiver, et si les Winterreise schubertiens sont nombreux cette saison 2007-2008 en Rhône-Alpes, le week-end chambriste qui porte ce titre pour la 12e année à Lyon se consacre cette fois non à Schubert ou Brahms, mais à une mise en miroir de Mozart et des Trois Viennois du XXe. Aperçu des lieux de programmation sur cette fin de semaine en janvier.
Une ville bigote et craintive?
« C’est bien cette peinture de Janmot qui convient à une ville de comptoirs, bigote et méticuleuse, où tout, jusqu’à la religion, doit avoir la netteté calligraphique d’un registre. » Et vlan ! De la part de quelle autorité ? Du plus flamboyant, du plus impitoyable des critiques picturaux de la modernité. Charles Baudelaire, bien sûr. Et ceci encore, qui nous paraît si juste, un siècle et demi plus tard : « Lyon est une ville philosophique, singulière, bigote et marchande, catholique et protestante, pleine de brumes et de charbons, les idées s’y débrouillent difficilement. Tout ce qui vient de Lyon est minutieux, lentement élaboré et craintif. On dirait que les cerveaux y sont enchiffrenés…. » Mais pourquoi ce masochisme et cette ironie sur un chapitre hivernal lyonnais, musical de surcroît ? Parce que le journaliste en mal d’accroche pour son article sur le 12e Voyage d’Hiver lyonnais, a feuilleté le dossier de presse et aperçu que l’un des 6 concerts de ce week-end classique à prolongements modernistes se déroule au Musée des Beaux-Arts, et s’accompagne d’une conférence sur l’un des hauts-lieux dudit Musée, la Série du Poème de l’Ame peinte par Janmot dans le début des années 1850. Dieu sait que Janmot peut provoquer l’admiration pour raison spiritualiste ou l’agacement devant son côté kitsch-niaiseux ! Bref les étrangers à la Cité « enchiffrenée » sont prévenus qu’ils auront peut-être là des raisons de sourire encore devant les particularismes provinciaux, ou au contraire de s’émerveiller devant la perpétuelle originalité esthétique d’entre Rhône et Saône. Les Lyonnais, eux, connaissent, mais pourront revoir leur jugement.
La mélodie de timbres
Car hormis l’accroche janmotesque, c’est plutôt la référence viennoise qui prime dans ce « Mozart et la 2nde Ecole ». La directrice-fondatrice de ces Voyages d’hiver, Françoise Falck, a toujours veillé à ce qu’une thématique rassemble ses promenades en janvier autour d’un compositeur ou d’une culture musicale. Sachant les prudences pour ne pas dire les frilosités (qui ne sont pas dues au seul climat du début d’année civile) du public chambriste attaché à l’irremplaçable acoustique de la Salle Molière, elle a choisi en 2008 de lier son incursion chez les Trois Viennois du XXe sous le signe de la continuité entre classicisme et rupture. Donc Mozart – symbole de la composition aimée entre toutes – est appelé en écho de perfection pour témoigner en faveur d’une écoute plus attentive et chaleureuse de Berg, Schoenberg et Webern. Comme on est en domaine chambriste, la concentration d’esprit, la réfraction sonore et pour employer les termes spécifiques, la « mélodie de timbres et de couleurs » devraient convaincre les plus réticents…ou les moins bien informés du côté de la 2nde Ecole de Vienne. En termes plus réalistes, on pourrait aussi évoquer quelque principe de dragée…au poivre, ou – plus actuel et mieux ressenti en gastronomie moderne – du sucré-salé qui neutralise le rejet en stimulant le goût…Et se rappeler, bien sûr, qu’avec ces partitions « modernistes », on navigue…un siècle en arrière !
Trop de notes, mon cher Mozart …
De toute façon, comme on sait, la concision est l’apanage de cette Ecole moderne – sauf quand ils sont encore post-romantiques – , et Webern (n’est-ce pas lui qui parlait de faire tenir tout un roman dans un soupir ?), s’il garde une durée « normale » dans son Quatuor « 1905 » (plus d’un quart d’heure) et dans le Langsamer Salz est partout ailleurs d’une brièveté en rupture totale avec l’origine post-romantique (l’op.11, l’op.7, le Mouvement de Sonate, les moins inconnues 6 Bagatelles oscillent entre 1 et 2 minutes). Berg n’est pas dans le même état d’esprit, et sa lyrique souvent exacerbée a besoin de la durée : de son mince catalogue chambriste, on entendra les 4 pièces clarinette-piano op.5 – celles-là exceptionnellement concises – , et la transcription du Concerto de chambre ( l’adagio). Schoenberg est « différent » de ce point de vue, et à côté des tardifs op.45 et 47, ce sont ses 2 pièces les plus connues – très inscrites dans la durée – qui sonneront au cours de ce Voyage d’Hiver : la Nuit Transfigurée, et le Pierrot Lunaire. Et Mozart ? « Pas une note de trop » aurait répondu le compositeur à son Empereur qui le sermonnait sur le « beaucoup de notes » dans l’Enlèvement au sérail… Et c’est vrai que le plus souvent, Wolfgang est aussi un Maître du Temps Mesuré, adaptant en classique parfait son discours à la nécessité dramaturgique de l’écriture. Seules des nécessités surgies du tréfonds bouleversé de l’âme le font déroger à ce principe d’équilibre souverain. Ainsi en percevra-t-on les échos dans les 2 quatuors avec piano (surtout le 1er, K.478), le Trio K.502, la Sonate piano-violon (K.379), la Fantaisie pour piano (K.475), et une transcription du Requiem par Peter Lichtenthal)où le tragique accélère l’expression, et à l’inverse, dans la poésie « lente » qui imprègne tout le Quintette avec clarinette (K.581) et en densifie la substance. L’ensemble de ce programme conduira de toute façon les auditeurs à une fructueuse réflexion sur ce qui, justement, constitue une poétique de l’écriture, fin XVIIIe et début XXe, entre diaprure du timbre et ardeur de ce que les analystes nomment l’agogique (la « façon de conduire » le discours musical).
Enchiffrenés de tous les pays, unissez-vous!
Les interprètes sont des fidèles voyageurs en hiver : en avant-garde, la violoncelliste (et lyonnaise) Anne Gastinel, médiatique « marraine » de ce Winterreise chambriste. Le violoniste Raphaël Oleg, le pianiste Emmanuel Strosser, le clarinettiste Romain Guyot, la chanteuse Marianne Pousseur (pour Pierrot Lunaire) et le Trio Wanderer (ici superlativement bien nommé) s’y joignent à leurs camarades qui travaillent surtout entre Rhône et Saône (Orchestre National, Conservatoires) : le Quatuor Debussy, Florent Kowalski, Jean-Pascal Oswald, Emmanuelle Réville, le Trio de Lyon (Laurence Dufour-Ketels, Edouard Sapey-Triomphe, Bruno Robilliard). Car c’est un des principes de l’Association Musique et Arts (co-productrice avec l’Auditorium-ONL de ce Voyage) que d’associer au cheminement les forces régionales et « nationales ». « Enchiffrenés, craintifs, brumeux, fuligineux » », disiez-vous, Charles ? Le bel aujourd’hui – donc vous-mêmes, chers mélomanes – peut corriger les vacheries baudelairiennes, non ?
Week-end Voyage musical d’hiver à Lyon. Du 18 au 20 janvier 2008. Vendredi 18 (20h), samedi 19 (15h ; 20h) et dimanche 20 janvier 2008 (11h ; 15h ; 18h). Salle Molière de Lyon, sauf samedi 15h (Musée des Beaux Arts, et conférence à 16h).W.A.Mozart (1756-1791) : Sonate K.379 ; Quatuors avec piano K.478 et 493 ; Quatuor K.387 ; Fantaisie piano K.475 ; Quintette avec clarinette K.581 ; Trios avec piano K.502 et 548 ; Requiem K.626(transcription). A.Schoenberg (1874-1951) Trio op ; Fantaisie op.47 ; La Nuit Transfigurée ; Pierrot Lunaire. A.Berg ( 1885-1935) Adagio du Concerto de chambre ; Pièces op.5. A.Webern (1883-1945) Quatuors « 1905 », « Bagatelles », op.28, op.5 ; Pièces op.7 ; Pièces violoncelle et piano M.202 et op.11. Informations et réservations : Tél.: 01 47 20 63 07 ou 04 78 95 95 95 ou www.voyagemusical-lyon.fr
Crédit photographique:
(1) Alban Berg (DR)
(2) Wolfgang Amadeus Mozart (DR)