cd, compte rendu critique
Dommage qu’elle a attendu trop longtemps pour enregistrer le présent programme, la voix n’a plus la douceur caressante d’il y a quelques années. Sur la scène, Véronique Gens n’est pas une actrice passionnée/passionnante mais le feu de la voix seul suffit ici à compenser cela. Toujous très technique, l’articulation ne cache pas des failles persistantes. Les aigus sont vibrés et courts voire déchirés pour partie, mais cette intelligibilité claire permet de ne rien manquer de l’action ni des tableaux psychologiques: le bénéfice pour la compréhension du texte et de l’action dramatique reste inestimable. Heureusement que la partie médiane de la tessiture, intacte, transcende la texte en une projection saine et vive.
Herminie, 2è cantate présentée pour le Prix de Rome en 1828 (après un premier échec en 1827), gagne une tension du début à la fin même si l’on regrette des aigus durs et une direction guère ciselée. Celle qui s’inquiète pour la tête de Tancrède, aux spasmes des cordes vivifiées en une chevauchée qui cite la Fantastique, paraît ici fière et digne; sur la durée, la voix affiche d’évidentes usures et un souffle en perte d’ampleur.
Les Nuits d’été: dès la Villanelle, l’instabilité de la voix modère notre enthousiasme et les aigus jamais clairs et nets ou précis trahissent les mêmes défaillances actuelles. Même dans le Spectre, la soprano perd la couleur et la hauteur, avec cette tendance au vibrato pour accentuer la fin de chaque phrase. Certes, l’intelligibilité qui assure les rebonds d’une théâtralité affermie et intense sauve la mise; mais il manque tellement cette candeur suspendue, ce ton d’enchantement qui à un même degré d’articulation fait toute la différence avec la récente et sublime version d’Anne-Catherine Gillet dont les Nuits d’été restent formidablement investies. Sur le plan du caractère, l’intonation reste en dehors du texte et du climat d’inquiétude mystérieuse (pour rester dans le Spectre). La projection est celle d’un récital esthétisant pas d’une prière intérieure (les aigus sont posés avec un maintien trop souverain). Le style reste ampoulé, démonstratif: l’écriture de Berlioz exige plus de naturel et de flexibilité: ci git une rose devient par exemple « roso »… tenue incontrôlée, dommage. L’enregistrement de surcroît présente de surprenants écarts de niveau sonore d’une phrase à l’autre, couvrant sagement les aigus… curieux bidouillage. Puis viennent Absence, Au Cimetière, enfin l’île inconnue… question d’esprit, d’affinité: Véronique Gens manque singulièrement de simplicité. Et si Berlioz n’était pas finalement pour elle?
Ce que nous trouvions guindé et artificiel, orchestre comme soliste disparaît soudain pour 3 Ravel, pleins d’enchantements et de mystère: pour une Shéhérazade plus coulante et flexible, la voici enfin Véronique Gens, moins tendue, caressante, parfois hallucinée (même si l’aigu sur le « i » d’Asie: manque encore d’éclat ample)… mais c’est une vétille comparé à ce que nous avons quitté: enivrée, désirante, proclamatoire, articulée et enfin naturelle, la voix affiche une autorité mordante, projetant le texte dont l’intelligibilité constante est d’un apport permanent; enfin Shéhérazade est ici compréhensible; merci à la diva française de nous offrir ce cadeau si précieux: comprendre chaque vers, serti dans un écrin orchestral plus nuancé, plus souple lui aussi, est une expérience mémorable. Le verbe langoureux, extatique, invocatoire de Tristan Klingsor gagne une lisibilité magnifique. Même climat idéalement abouti pour un Indifférent plein d’étrangeté et avant lui, une Flûte non moins enchantée. Le Berlioz est un ratage, une erreur de répertoire dans la carrière de la diva. Les 3 Ravel sont aussi ensorcelants que nuancés.
Véronique Gens, soprano. Berlioz, Ravel (Shéhérazade). Orch. nat. des Pays de la Loire. John Axelrod, direction. 1 cd Ondine. Réf. : ODE 1200-2. Durée: 1h05mn. Enregistré en 2009 et 2010.