mercredi 23 avril 2025

Wagner 2013 : La maturité munichoise: Tristan und Isolde, le Ring (1865-1876)

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Wagner 2013. La maturité munichoise: Tristan und Isolde, le Ring (1865-1876)   … Tristan à Venise (1859), Tannhäuser à Paris (1861). A partir de 1857, Wagner met de côté la composition du Ring pour se consacrer totalement à Tristan und Isolde, composé de de 1857 à 1859: Wagner est alors l’hôte de ses protecteurs Otto et Mathilde Wesendonck qui lui ont alloué généreusement une maison à Zurich. Tristan recueille l’expérience finalement douloureuse de son attirance pour Mathilde dont les poèmes offrent le prétexte des Wesendonck lieder (1857). Wagner reçoit de plus le choc de la pensée de Shopenhauer qui modifie en profondeur sa conception musicale et lyrique. Le désir enchaîne l’homme à son destin de soufrance…

Wagner-assis_290-1Pour se remettre d’une idylle impossible et douloureuse, Wagner quitte la Suisse pour Venise (1858-1859: où il écrit le sommet de Tristan: l’effusion amoureuse de l’acte II, nouvelle épreuve expiatoire de ses tourments sentimentaux; puis il rejoint Lucerne (1859), enfin Paris (1860-1861), qui après avoir écarté Rienzi en 1841, accepte de monter Tannhäuser à l’Opéra. Objet de scandale, l’ouvrage est retiré dès mars 1861 mais il  marque profondément les esprits artistiques les plus pertinents, depuis ambassadeurs d’un wagnérisme fervent à la française qui ira croissant (Reyer, Gounod, Gautier, Fantin-Latour et surtout Baudelaire).

dossier Wagner 2013

 

 

La maturité munichoise :

 

Tristan und Isolde, le Ring (1865-1876)
Louis II de Bavière, l’ange protecteur. Sans poste fixe ni situation assurée, Wagner paraît seul (Minna s’est éteinte en 1860). Le salut vient de Bavière: Louis II, devenu roi en 1864, se passionne pour l’oeuvre wagnérienne : le jeune souverain accueille et protège matiérellement son protégé. Conforté et soutenu, Wagner reprend alors la poursuite du grand œuvre: le Ring. En outre, le compositeur écrit la musique des Maîtres Chanteurs, hymne à l’art et au génie allemand, entre 1866 et 1867.

Louis_II_de_BaviereWagner fait surtout la connaissance de Cosima, fille de son ami Liszt; Richard et Cosima vivent très vite ensemble: un premier enfant naît (Isolde) en 1865 quand est créé l’opéra majeur Tristan und Isolde (Munich). La partition repousse au delà de l’imaginable les limites harmoniques et tonales; l’orchestre et son flux continu devient prépondérant et son chant, le langage immédiat de la psyché; en outre, Wagner se montre influencé par Shopenhauer (lu dès 1852) et son pessimisme vénéneux: les deux amants aspirent à la délivrance en une union qui se réalise par leur anéantissement respectif (en fait, successif dans le déroulement de l’action: d’abord Tristan puis Isolde). Jamais un opéra n’avait exprimé le souffle de l’amour avec une telle force: la maîtrise parfaite des leitmotive, leur combinaison tout au long de la partition, marque un sommet dans l’écriture de Wagner. Il y a bien dans l’histoire de la musique européenne un avant et surtout un aprèsTristan.


Louis II soutient Wagner 
dans son projet de construire un opéra dont le dispositif scénique et les conditions de représentation sont directement adaptés à ses opéras, en particulier les quatres volets du Ring. Un premier théâtre est envisagé à Munich, mais le projet avorte. Wagner doit quitter Munich pour Tribschen (Suisse) où il reste pendant 5 ans.Siegfried puis Le Crépuscule des dieuxsont ainsi achevés; avec le dernier volet de la Tétralogie, Wagner compose l’une de ses partitions les plus inspirées, au symphonisme subtil qui triomphe et éblouit grâce à la maîtrise d’une écriture qui excelle à combiner les leitmotive. La trame orchestrale s’assimile à un langage psychique d’une complexité mouvante exceptionnelle: au-délà de la légende et des sujets mythiques, Wagner exprime de façon inédite la psychologie des héros, en particulier les personnages de Wotan (qui a renoncé au pouvoir et à la maîtrise en devenant le Wanderer), Siegfried, guerrier trop naïf et manipulable, Brünnhilde, femme de l’avenir, amoureuse loyale d’une sincérité admirable… la plus humaine conclue tout le cycle en une extase enivrée qui rappelle évidemment la mort d’Isolde à la fin de Tristan. Cosima s’installe définitivement à Tribschen (1868) où Nietzsche mutliplie alors ses visites. Wagner fait créer à Munich Les Maîtres Chanteurs en 1868 affirmant sa maîtrise du contrepoint à mille lieux du climat envoûtant jusqu’à l’hypnose de Tristan. Puis, se sont les opéras du Ring: L’or du Rhin (1869), La Walkyrie (1870, l’année où Cosima divorcée de Hans von Bulow peut enfin épouser Richard), qui témoignent d’une pensée musicale accomplie dont la cohérence et la perfection structurelle à l’échelle du cycle entier ne laissent pas de fasciner.

 

 

1876: 1er Ring à Bayreuth

 

En 1871, comme les dieux de l’Or du Rhin se font construire leur palais (le Walhala), Wagner et son épouse se fixe à Bayreuth: c’est là que le théâtre dont il rêve, sortira de terre… grâce à l’aide de Louis II de Bavière là encore. Le souverain fidèle offre même au compositeur une maison nouvelle appelée « Wahnfried ».  Le chantier s’achève enfin en 1876 quand est inauguré le premier festival complet du Ring. 

Musique de réitération où la mémoire, le souvenir et l’évocation du passé pèsent de tous leurs poids dans le fil de la narration, la Tétralogie, dans  sa conception structurelle suit le mode de composition: Wagner a d’abord songé à un opéra sur Siegfried (à partir d’un premier motif musical sur sa mort: Siegfried’s tod); puis, à travers une réflexion plus profonde, le compositeur a décidé d’écrire à rebours et de remonter jusqu’au commencement du mythe… ainsi en découlent l’architecture du cycle en quatre volet (le prologue puis les 3 journées); chaque situation dramatique a sa couleur et son motif mélodique; ainsi naît le principe structurel du leitmotiv, en fait un terme inventé par Hans von Wolzogen, quand Wagner préférait plutôt celui de thèmes fondamentaux (grundthemen).
schopenhauer---schopenhauer-wagnerLe sens du cycle souligne à travers mythes et légendes imbriqués qui permettent la représentation d’une féerie légendaire, la malédiction de l’humanité  quand elle s’écarte de l’amour, de la loyauté, de toute intégrité morale. Wagner raconte la vaine et tragique convoitise de l’or et du pouvoir; en cela, l’échec de Wotan, dépassé par son rêve de grandeur; la fragilité d’un héros parfait trop  candide: Siegfried (assassiné par manque de clairvoyance)… comme dans Le Vaisseau Fantôme, Tannhäuser, Tristan, une figure féminine se détache ici: Brünnhilde, la 9è Walkyrie devenue femme et épouse de Siegfried; c’est la seule qui recueille avec sagesse et renoncement les enseignements de l’épopée: dans la scène finale du Crépuscule des dieux, l’amoureuse loyale et fidèle (pourtant trahie) efface tout ce qui a été perpétré et commis au nom de l’orgueil et de la cupidité individuelle ; elle restitue l’or aux filles du Rhin et espère l’avènement d’une humanité nouvelle…

 

 

wagnérisme et humanisme

 

Précurseur de Freud et de la psychanalyse, le théâtre de Wagner n’est pas une scène d’action mais d’introspection régressive: chercher dans le passé ce qui cause l’enchaînement de l’homme et son aliénation à son propre destin: un destin de souffrance où le désir et la cupidité jalouse voire barbare donc inhumaine scellent la malédiction de l’espèce humaine. C’est Wotan qui perd le seul être qu’il aime, sa fille Walkyrie, Brünnhilde; c’est Amfortas condammé à célébrer toujours un rituel qui cause sa mort lente; c’est Lohengrin, l’élu venu sauvé Elsa qui le trahit par fragilité morale; ce sont surtout Tristan et Yseult dont l’union éprouvée, souligne l’impossibilité de vivre heureux sur cette terre sinon dans le renoncement et la mort.

Wagner profil portraitEn revanche combien de pages admirables qui fondent l’humanisme fraternel de Wagner, à contre courant des tentatives de récupération de son œuvre: le compositeur sait façonner des individualités marquantes et déterminées qui bravent l’aveuglement collectif: et la perte des valeurs collectives et spirituelles; ses personnages clés, remarquables se nomment Senta (elle sauve le Hollandais et le libère de son cycle maudit), Brünnhilde et Kundry: (Parsifal, 1882) toutes deux se métamorphosent et deviennent par compassion, salvatrices et rédemptrices;  la première pour le couple incestueux magnifique Siegmund/Sieglinde (La Walkyrie); la seconde pour Amfortas dont elle permet la finale délivrance. Un autre personnage irradie au contact de l’amour: Parsifal. Car lui aussi éprouve ce basculement psychologique qui lui fait voir l’enchaînement d’Amfortas à son destin de douleur. Compassion, fraternité, amour… telles sont les valeurs sublimées et portées par toute l’œuvre wagnérienne. En dépit de son profond pessimisme, Wagner continue de croire en l’homme.
De ce point de vue, son théâtre s’apparente à un rituel et une initiation qui peut chez certains spectateurs susciter une prise de conscience sur le plan moral et spirituel. Nous sommes bien à l’opposé du spectacle bourgeois, essentiellement mercantile et divertissant.

En France, l’impact du wagnérisme prend racine et se manifeste dans l’admiration que lui portent de nombreux compositeurs: Joncières, Chausson, d’Indy, Franck, Debussy (interludes orchestraux de Pelléas et Mélisande)… dont les écritures respectives interrogent, prolongent ou commentent la source wagnérienne…
Illustrations: Richard Wagner, Louis II de Bavière, Shopenhauer (DR)
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