Richard Wagner
Siegfried
Krämer acte III: après L’Or du Rhin et La Walkyrie, voici le Siegfried
de Günter Krämer sur les planches de Bastille. Suite attendue du
premier Ring wagnérien à Bastille… L’oeuvre du scénographe et malgré
les critiques ici et là soulevées, bien peu légitimes à notre avis au
regard de la cohérence de la scénographie, poursuit son souffle épique
et … défaitiste: pour Krämer et en cela des plus fidèles à la vision
de Wagner sur le mythe du héros germanique, l’homme qui s’apprête à tuer
le dragon se fourvoie; il se montre même bien indigne de sa valeur;
celui qui ne connaît pas la peur et qui avait l’étoffe du nouvel homme,
se montre intrépide mais irréfléchi; audacieux mais fatalement naïf.
C’est la victime née pour les manipulateurs politiques: ce qui lui
arrivera à la cour des redoutables Gibichungen (dont Hagen sera son
assassin) , dans le dernier acte de la Tétralogie, Le Crépuscule des dieux…
pouvoir de l’amour… celui de la loyale et si touchante ex Walkyrie,
Brünnhilde. Si l’opéra nous offre des sujets à méditer, Siegfried en
serait l’emblème car le champion proclamé n’a rien d’exemplaire et
Wagner démêle la machine qui le mène à sa perte. On s’étonne alors que
les prussiens patriotes et nationalistes, Bismark en tête, en une
compréhension bien peu critique, et une adoration aveugle, en ait fait
son modèle !
d’une alchimie minutieuse; elle souligne tout ce qui sépare le début de
l’opéra, marquant par sa pulsion juvénile, son déchainement
« pubertaire » (dixit le metteur en scène) et son achèvement dans l’acte
III (écrit 10 ans après par un Wagner totalement différent) qui tourne
autour des deux amants magnifiques, Siegfried et Brünnhilde, en une
étreinte fusionnelle qui peut être née d’une incompréhension
fondamentale: le héros est il prêt à aimer lui qui n’a jamais renoncé
comme l’a fait la Walkyrie déchue? En lui, s’accumule la tension
nouvelle que provoque sa découverte de la femme, créature inconnue,
étrangère… En elle, se presse la peur et le remord: sa faute rejaillit
sur Siegfried: l’ex Walkyrie est devenue une simple mortelle pour avoir
protéger les parents de celui qui vient à sa rencontre (après avoir
vaincu le mur du feu qui la protégeait), mais Siegfried est-il vraiment
cet être de feu, lumière du nouveau monde à bâtir? En d’autres termes,
le jeune homme est-il à la mesure du sacrifice surmontée par la jeune
guerrière reniée par son père?

jeune dieu au potentiel énorme mais qui confronté à la vile société des
hommes (synthétisée par Wotan, ce comédien perverti et corrompu devenu
Wanderer qui voyage masqué, et qui ne contrôle plus rien…), connaît un
destin tragique. S’il semble d’abord forgé pour ignorer la peur,
Siegfried se confronte à la nature dans un rapport onirique (la forêt,
le dragon et surtout l’oiseau) dont Günter Krämer souligne la portée
magique, le pouvoir poétique et symboliste, voire surréaliste entre
Baudelaire et Rimbaud. Sa mise en scène devrait préciser ce rapport
souvent minimisé entre le jeune homme et la Nature qui détermine sa
place et son identité.
un juste équilibre entre désillusion réaliste et tragique, et onirisme
tendre. S’il suit Wagner sur les traces d’un désenchantement lucide, le
dramaturge rétablit aussi la matière humaine de la tragédie: rien n’est
encore explicitement résolu dans Siegfried; au contraire tous les
possibles restent ouverts à partir de la rencontre entre l’homme et la
femme… Mais leur union sera-t-elle aussi prometteuse que le couple
antérieur, Siegmund et Sieglinde, les jumeaux incestueux qui au coeur de
la tourmente et de l’enfer, incarnait le miracle de l’amour? Depuis son
début, ce Ring mémorable sait trouver une voie idéale entre réalisme et
historicisme: les mythes et légendes que Wagner recycle, servent un
regard profondément désenchanté (en cela inspiré comme on sait de
Shopenhauer); mais sans lourdeur ni déjà vu, le metteur en scène
germanique réinscrit l’opéra wagnérien dans une visio historique,
n’hésitant pas à expliquer pourquoi l’impérialisme prussien et
l’expansion hégémonique nazie ont cru voir dans l’emprise rêvée de
Wotan, une préfiguration de leurs propres aspirations à la conquête du
monde… En outre, Günther Krämer ajoute ce parfum subtil qui porte
malgré et contre tout, un espoir et une tendresse pour l’avenir de
l’homme… un amour qui passe par la femme, en l’occurance Brünnhilde.
Voilà longtemps que nous n’avions pas redécouvert et apprécié une
tétralogie visuellement cohérente, de plus, bénéficiant jsusque là d’un
cast vocal superlatif, dans une tenue orchestrale, chambriste et
incarnée, celle que dirige avec un aplomb souvent irrésistible Philippe
Jordan. Production incontournable.
Siegfried, suite de la Tétralogie à l’Opéra Bastille, mise en scène par Günter Krämer. Production événement. Jusqu’au 30 mars 2011.
Wagner désenchanté, Wagner retrouvé
La vision de Günter Krämer confirme ses vertus scéniques: poursuivre son immersion dans le fatalisme désenchanté que Wagner fait subir au mythe du Nibelung et plus globalement, à la légende humaine…
Les partisans d’un théâtre onirique, qui souhaite ce merveilleux joli et décoratif, en sont pour leurs frais et redouble d’agacement critique qui confine, reconnaissons le, depuis L’Or du Rhin, sur La Walkyrie, à présent concernant l’actuel Siegfried,… à la répétition stérile. Le Ring de Wagner serait-il l’objet d’un malentendu de la part de l’audience française en particulier des critiques qui toujours fustigent un spectacle s’il n’est pas convenu, divertissant, rassurant. Pourtant s’agissant de Wagner, c’est bien l’âpreté et le cynisme barbare qui est au centre de l’action: on ne devrait plus s’étonner chez Wagner, de mises en scène provocatrices ou dérangeantes.
Et justement Günter Krämer a le mérite, selon nous, de souligner cette ironie parfois abrupte et visuellement laide (mais oui pourquoi pas car hautement légitime!!) dont le mécanisme scénographique et les références visuelles respectent totalement l’objectif de Wagner: quand le compositeur convoque les créatures de la mythologie ancestrale, c’est moins pour nous enchanter que nous ouvrir les yeux et vivifier notre conscience: il y a bien du loup et du barbare dans l’homme et Siegfried, entre autres, loin d’être ce héros sublime, champion d’un idéal culturel et politique, n’est qu’une victime parmi d’autres du diabolisme humain.
Wagner nous indique précisément tout ce qui mène l’homme à sa perte: le Ring n’est pas une machine à rêver, mais plutôt une féerie critique dont l’action parodique, est une alerte sur la décadence et la chute programmées de notre civilisation. Ni plus ni moins.
Krämer porte à la scène cette sensibilité proprement allemande, dans la « tradition » critique (donc légitime) de la regiteater: en figurant la laideur, il ne fait que développer le projet de Wagner qui à notre époque aurait assurément utiliser nos idées contemporaines les plus « trash ».
Il y a du petit garçon mal dégrossi et pourtant prometteur chez ce Siegfried là: est-il vraiment digne de l’amour et du sacrifice de l’ex Walkyrie Brünnhilde qui lui est promise? C’est toute la question que pose non sans raison Günther Krämer, et le grand duo d’amour final n’en paraît que plus « décalé » entre deux âmes promises au feu passionnel, mais en réalité source d’une incompréhension totale. Dans cette arène inhumaine, même Wotan, le dieu des dieux, paraît plus louvoyant et masqué que jamais; désormais errant (Wanderer), traversant les lieux et les êtres sans exercer de prise: il est bien pris au piège du cynisme immoral qu’il a favorisé. Mais sa chute n’est elle pas programmée dans le volet à venir: Le Crépuscule des Dieux? La fin qui le voit défait, détruit, déshumanisé est lourde de sens. Et de fait, à la fois très belle et très juste. Le Mime fin, subtile, homme-femme au foyer cultivant sa drogue douce, de l’excellent Wolfgang Ablinger-Sperrhacke est un argument de poids: sa prestance et sa vérité délectable retrouve les Peter Shreier (pour Karajan) d’antant… la finesse de son jeu renoue avec l’absolue réussite sur la même scène de Bastille du Loge, malicieux, manipulateur de Kim Begley.
Il faut absolument voir et revoir (surtout écouter et réécouter) ce Ring beaucoup plus cohérent qu’il n’y paraît. D’autant que dans la fosse, Philippe Jordan exerce sur l’orchestre maison, visiblement ravi, un magnétisme chambriste qui là aussi, nous fait repenser Wagner… à la source.