Convaincant et juste
L’opéra souhaite apporter une réponse humaine à un déchirement métaphysique: l’homme peut-il être le réceptacle apaisé de ses pulsions contradictoires? Il est réellement le divin et le diabolique: voilà ce que nous dit Wagner par le chant de Tannhäuser.
La confrontation entre héros et société prend même un tour spectaculaire dans la scène du Concours où Tannhäuser résiste à l’hypocrisie très Second Empire du Landgrave et des acolytes, pétrifiés jusqu’au ridicule par le sexe ! Mais il finisse tous par nuancer leur verdict (grâce à l’intercession d’Elizabeth), et le coupable, rongé par le remords de ses fautes passées, devra faire repentir parmi les pèlerins jusqu’à Rome…
La réalisation à l’Opéra danois réussit idéalement cette scène capitale du social dans l’ouvrage: les multiples plans rapprochés sur certains choristes acteurs, la position des caméras sur la scène en plus des visions générales de face ajoutent à la « réalité » d’un tableau où s’opposent les visions et les esthétiques… Puritanisme des notables déjà ennuyés par cette parade décorative, agitation et transe de l’agitateur Tannhäuser, électrisé par une Vénus agacée, jusqu’à ce que vienne son tour… Seule Elizabeth, tout en rouge séditieux (couleur de la lutte dans une foule en noir et blanc si conforme) a bien conscience de la signification du Concours, le dévoilement des forces secrètes, celles qui nourrissent l’artiste, cet homme militant pour la société moderne.
La mise en scène dès le début suit la vision des antagonismes sociaux: dans la première scène, le rêve familial et bourgeois du poète (auquel participe Elizabeth) s’effrite quand la demeure polissée se fait antre des orgies orchestrées par Vénus: les serviteurs se transforment en créatures déhanchées, acteurs principaux du ballet du Vénusberg. Ici, Tannhäuser est vêtu et maquillé comme Wagner: l’assimilation du héros au compositeur n’est donc plus implicite. Dans la fosse, Friedmann Layer déploie une belle activité (pour le duo amoureux du II en particulier: Tannhäuser/Elizabeth), mais aussi les redoutables parties collectives et chorales qui concluent le II quand le procès de Tannhäuser s’accomplit et qu’il doit partir à Rome. Dommage cependant que les protagonistes peinent à convaincre totalement: Stig Andersen compose un Trouvère certes parfaitement tiraillé, mais parfois usé, même si son retour de Rome possède de purs accents sincères: le récit de son entrevue avec le pape et le salut qui lui est refusé, le plongeant dans une rancoeur amère parfaitement restituée, distingue l’engagement du chanteur: globalement le III est vocalement mieux tenu car son invocation vénusienne lors du Concours souffre d’aigus souvent tirés et courts.
L’Elizabeth de Tina Kiberg ne manque pas de vérité parvenant souvent à l’expression de la pureté morale. Le point de vue scénographique respecte le profil des communautés en présence et le tiraillement sincère du Trouvère, comme la présence récurrente de la culpabilité chrétienne. Kasper Holten auquel l’opéra danois doit l’une des tétralogies wagnériennes les plus intéressantes de ces dernières années, réussit une lecture cohérente et aboutie de la partition: il en éclaire les nombreux conflits mêlés.
Tout va en se bonifiant dans une production qui reste jusqu’à la fin claire et intelligente dans ce cheminement du poète chanteur, entre désir et spiritualité. Et l’orchestre redouble de souplesse suggestive pour exprimer la métamorphose qui s’opère dans le coeur du repenti. Elizabeth ne sera pas morte pour rien. Convaincant et globalement juste.
Wagner: Tannhäuser. Stig Andersen, Tannhäuser. Tina Kiberg (Elizabeth)). Susanne Resmark (Vénus), Stephen Milling (Hermann), Wolfram (Tommi Hakala)… Choeur et orchestre de l’Opéra Royal Danois, Royal Danish Opera. Friedemann Layer, direction. Kasper Holten, mise en scène. Sortie: le 4 juillet 2011