Qu’apporte de neuf précisément votre texte dans la compréhension de Furtwängler?
Ainsi, l’utilisation des sources musicales comme documents historiques à part entière permet de mettre en comparaison le répertoire de Furtwängler avec celui, plus officiel, dicté par la politique culturelle du IIIe Reich, instillée par Joseph Goebbels. Si l’on va plus loin, les sources musicales peuvent être utilisées également dans leur plus forte expression, à savoir les enregistrements : une démarche d’écoute comparée peut, de fait, permettre de considérer des interprétations politiques dans l’œuvre d’un chef d’orchestre.
Enfin, il m’a paru nécessaire de compléter l’utilisation et l’interprétation faites de certaines sources historiques plus « traditionnelles », notamment concernant les rapports de Furtwängler à la Résistance, et la relation d’Albert Speer, Ministre de l’Armement, avec le Maestro.
Je dirais également qu’une des nouveautés de cette étude réside dans le passage d’une Histoire de Furtwängler à une Histoire des « Cas Furtwängler », et je pèse le pluriel dans cette expression : nous sommes en effet en présence d’un musicien qui a traversé et divisé son siècle, mais de façons différentes, que l’on soit dans l’Europe résistante à Hitler, aux États-Unis, dans le IIIe Reich, ou encore en Guerre Froide. Prendre en considération la pluralité des « cas Furtwängler » permet, sans volonté académique cependant, un nouveau jalon dans la compréhension du musicien.
Peut-on parler s’agissant de Furtwängler d’une “pensée politique”?
J’ai mis en valeur la place de Furtwängler au sein de la Résistance allemande : sans y avoir une action prépondérante, il était au courant des diverses opérations et fréquentait les grands Résistants Stauffenberg, Adam von Trott zu Solz, Ulrich von Hassel ou Gottfried von Bismarck. Il est ainsi important de souligner qu’après la tentative d’assassinat contre Hitler, le 20 juillet 1944, Furtwängler figure sur la liste des Allemands suspectés par Himmler et fera dès lors l’objet d’une surveillance rapprochée par la Gestapo…
Goebbels l’affirme dès 1945 : « Furtwängler n’a jamais été nazi et il n’a jamais fait de mystère là-dessus ». Pour Schönberg, il est un « vieil esprit national démodé », mais n’a « jamais été antisémite ». Cependant, par le poids de l’image et en raison d’une représentativité culturelle certaine, il est soumis à deux dénazifications. Par la suite, il devient un enjeu de la Guerre Froide entre les puissances occupantes, une Allemagne qui cherche à se reconstruire, et les Soviétiques.
Faisant preuve d’un engagement politique certain, il me semble finalement que Furtwängler ait cru à l’illusion d’un art apolitique, et à celle de la victoire de la musique sur la barbarie et la violence. Et qu’il ait fait les frais de la question de la « représentativité » de l’artiste : qui d’autres était en effet plus présent (et même contre sa volonté) sur le plan musical, dans les médias et la propagande au cœur de la Seconde Guerre Mondiale ? Pour les Alliés, les groupes de pressions anti-nazis, puis les forces d’occupation de l’Allemagne, il était un symbole parfait de l’esthétisation du nazisme…
Si vous deviez à nouveau écrire un livre sur le chef légendaire, quels aspects de sa vie ou de son oeuvre aimeriez vous mettre en lumière et pourquoi?
Je prépare un Doctorat à Nancy Université, toujours en Histoire Culturelle, sur un autre titan de la direction d’orchestre, Leonard Bernstein, mais dans l’optique du « médiateur culturel » qu’il était. C’est également, dans les limites de la sacro-sainte objectivité historique, un musicien qui me fascine, un personnage pleinement marqué par son siècle, et marquant pour son siècle. Que l’on songe à l’œuvre du compositeur, aux réalisations du pédagogue, aux interprétations du chef, à l’engagement de l’homme, …
Concernant le compositeur et l’interprète, quelles sont les oeuvres et les interprétations que vous aimez particulièrement?
Propos recueillis en mai 2009
Audrey Roncigli: Le cas Furtwängler. Un chef engagé, légendaire et pourtant décrié…
Voici l’un des portraits parmi les plus convaincants dédiés au chef
d’orchestre allemand Wilhelm Furtwängler (né à Berlin en 1886); décédé
le 30 novembre 1954). L’ouvrage d’Audrey Roncigli est élu « coup de
coeur » de la Rédaction Livres de classiquenews.com. Ce texte d’une historienne mélomane, pose un nouveau jalon dans la juste compréhension du « cas »
Furtwängler au coeur des années les plus noires de l’histoire
européenne. Celui qui ne souhaita jamais mêler explicitement musique et
politique, ne cessa jamais de facto, de s’opposer au pouvoir hitlérien…. (Editions Imago)