Wolfgang Amadeus Mozart
Mitridate , Re di Ponto, 1770
Bruxelles, La Monnaie
Du 16 octobre au 11 novembre 2007
Nouvelle production
Mise en scène: Robert Carsen
Direction musicale: Mark Wigglesworth
L’opéra d’un ado
De décembre 1769 à mars 1771, comme Haendel avant lui, le jeune Mozart, âgé de seulement 14 ans, fait son tour d’Italie. Il y démontre ses aptitudes de prodige, surtout il découvre et se passionne pour l’opéra. Son premier seria, d’après Métastase, Mitridate, auquel succèdera le préromantique Lucio Silla (que Goethe admira tant), témoigne d’une sensibilité neuve, avide, curieuse, prise dans les rets des passions individuelles.
Mitridate, premier seria de Mozart, est créé pour le Carnaval de Milan, le 26 décembre 1770. Le futur auteur des Noces, de Don Giovanni et de Cosi apprend la langue des coeurs blessés, contraints, en panique. Tout en se soumettant aux caprices des chanteurs pour lesquels il compose airs et récitatifs, Mozart s’approprie un genre musical codifié auquel il apporte une palpitation nouvelle. Au total, trois actes et 22 airs, racontent l’action de Farnace qui au départ « vendu » aux romains, se retourne contre eux, pour servir sa patrie et respecter le lien paternel. Bons sentiments, héroïsme de dernière minute, mais avant balancement et vertiges des sentiments contrariés, interdits, reportés… Quel sentiment extrême inspire au Roi Mitridate, l’idée de se faire passer pour mort et susciter désarroi ou revanche chez ses fils?
En comprenant les enjeux du genre lyrique, Mozart y apporte déjà ce qui le distingue: sa vérité et sa liberté, sa compréhension des contradictions de l’âme. Autant de prémices ici contenus qui déjà annoncent les serias à venir: Lucio Silla, Idomeneo puis La Clemenza di Tito, composé en 1791 simultanément à la Flûte…
Robert Carsen: un labyrinthe des passions isolées
En mettant en scène, Mitridate, Re di Ponte, le metteur en scène canadien Robert Carsen inaugure sa collaboration sur les planches de La Monnaie. Pour le scénographe, Mitridate éclaire les rapports père/fils. Mitridate entend éprouver la constance et la loyauté de ses deux fils, Farnace et Sifare, en annonçant sa mort. Le premier se rebelle et veut profiter de ce décès feint pour prendre le pouvoir, le second reste fidèle à sa mémoire et veut poursuivre ses desseins politiques. Joutes pour le pouvoir, guerre fratricide pour l’amour (tous trois aiment la belle Aspasia), le noeud de l’action est surtout sentimental. En un labyrinthe à messages, Mozart décortique le fil heurté des coeurs, mis à mal par l’exercice et l’urgence, la folie et l’excitation qui s’emparent des êtres confrontés aux responsabilités.
Pour Robert Carsen, Mitridate composé en 1770 par un adolescent de 14 ans, nous parle d’un fait toujours actuel et vivant: la panique des êtres, leur tiraillements inavoués et inconscients… L’ouvrage peint des individualités opposées à mille lieux des ouvrages de la maturité où le compositeur s’épanouit par le brio de ses ensembles. Ici, une succession de portraits isolés, quelques rares duo et choeur final. La difficulté de vivre pour chacun dérive du contexte de guerre totale que les romains, agresseurs, imposent au Pays de Pont. La fin de la partition qui rassemble tous les anciens rivaux, solidaires contre une menace qui les concerne tous sans exception, est étrange voire dérisoire: ces patriotes retrouvés périront tous face à l’armée de Rome. La névrose patriote qui les anime jusqu’à la fin a passionné le metteur en scène qui livre son travail à partir du 16 octobre et jusqu’au 11 novembre 2007.
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Illustration
Jean-Dominique Ingres: Virgile lisant l’Enéide, « Tu Marcellus eris ». Chef d’oeuvre des années italiennes de Ingres dont la maniera austère et éngimatique renforce le sentiment d’isolement de chaque personnage. En traitant l’histoire antique, Ingres brosse le portrait de trois individualités dont l’incommunicabilité accentue la force psychologique. Que pensent-ils? S’écoutent-ils? (Bruxelles, musées des Beaux-Arts)