3 questions à MARCO HORVAT. En déplaçant le curseur chronologique, l’ensemble Faenza s’éloigne de son cher XVIIème (Seicento) pour explorer au XVIIIè, la volonté d’un auteur plus tardif, passionné par un genre plus ancien. Ce jeu des répertoires et des époques, historicisme avant la lettre, n’est pas sans rappeler le travail contemporain des interprètes soucieux de retrouver l’éclat des œuvres baroques. Quand Faenza aujourd’hui s’intéresse à Giovanni Zamboni, c’est un peu comme ce dernier lorsqu’il se penchait sur l’art démodé du madrigal. Jouer Zamboni en 2015 et bientôt lui consacrer un prochain disque, c’est rendre hommage à un pionnier, à la fois érudit affûté et relecteur audacieux qui verra enfin ses œuvres ainsi réinvesties et publiées, – finalités modernes auxquels il n’avait pas pensé et qui pourtant l’auraient assurément comblé. Entretien avec Marco Horvat, directeur musical et fondateur de l’ensemble FAENZA, à propos de son nouveau programme dédié au madrigaliste Giovanni Zamboni. Plus qu’un nostalgique remettant au goût du jour, la forme du madrigal pourtant passé de mode au XVIIIème siècle, Zamboni surgit en moderniste, maître remarquable et digne successeur d’un Monteverdi. Lettré au goût sûr, Zamboni sait sélectionner les poètes qu’il met en musique avec une exigence qui rappelle ses aînés, Monteverdi toujours mais aussi D’India. Il en saisit les enjeux expressifs, le raffinement et l’élégance littéraires comme la riche profondeur sémantique. Si le genre est déjà très ancien, la manière de le traiter mérite de ressusciter l’écriture de Zamboni et de lui consacrer un programme nouveau… Pour comprendre la modernité méconnue de Zamboni et l’engouement que Marco Horvat lui réserve aujourd’hui, CLASSIQUENEWS a posé 3 questions au musicien, créateur de son ensemble Faenza…
Pouvez vous en quelques mots singulariser l’écriture du Zamboni madrigaliste ? Nostalgique ou moderniste ?
Zamboni, comme Bach – osons le comparer au Maître de Leipzig ! – est les deux à la fois. La part de nostalgie est évidente : déjà, il joue du luth, cet instrument passé de mode depuis un bon siècle en Italie. Ensuite, son contrepoint peut sembler parfois académique : les voix entrent sagement les unes après les autres de façon régulière ; l’écriture est à quatre voix dans tous les madrigaux, même si certains passages sont monodiques et évoquent la cantate et l’opéra.
Mais « moderniste » très nettement aussi. Les modulations, les marches harmoniques, les éclats expressifs, l’inventivité le rapprochent de ses contemporains les plus inventifs : Vivaldi pour le charme, Marcello et Bach pour la profondeur de vue, et bien entendu Scarlatti, maître lui aussi du madrigal tardif, qui l’a très probablement directement influencé.
Quels sont les poètes mis en musique ?
Excellente question, car c’est du point de vue littéraire que Zamboni se montre surtout lié au passé. Dans les poètes que j’ai pu identifier, Giovanni Battista Guarini (1538-1612), l’auteur du Pastor Fido – également mis en musique par Vivaldi – tient le haut du pavé, mais on trouve aussi par exemple Giovanni Battista Marino, qu’on appelait en France « Le Chevalier Marin ». Plusieurs des poèmes utilisés par Zamboni ont été mis en musique au début du XVIIe siècle par Monteverdi, Cifra, d’India, Bellanda. Il se pourrait même que, en effectuant une recherche plus poussée, on trouve des doublons pré-baroques à toutes les compositions de Zamboni. Passer des madrigaux de Monteverdi et d’India, à ceux de Zamboni écrits sur les mêmes textes donnerait lieu à un passionnant programme de concert : c’est d’ailleurs dans nos projets pour nos prochains programmes Zamboni en tournée même si, dans un premier temps, j’ai envie de faire connaître ce compositeur en priorité.
Dans quelle mesure ce nouveau programme met il en avant les qualités de votre ensemble Faenza et l’esprit des recherches que vous menez ?
Ce programme sort nettement Faenza de son répertoire de prédilection : celui du XVIIe siècle mais, pour différentes raisons – sans compter la beauté stupéfiante de ces musiques tirées de l’oubli – il est dans la ligne de ce que nous aimons et savons faire :
– faire découvrir des répertoires complètement oubliés : écoutez par exemple notre précédent CD agOgique consacré à Giulio san Pietro de’ Negri, compositeur majeur qui n’avait pratiquement jamais été enregistré.
– donner la parole à des luthistes écrivant pour le chant, espèce plutôt rare et particulièrement intéressante. Nous avons travaillé sur Bellerofonte Castaldi – que nous comptons bien enregistrer prochainement – nous pensons consacrer un programme à Charles Hurel, qui est largement et injustement ignoré des programmations, etc…
– interroger les rapports entre texte et musique, hors du contexte de l’opéra
Par ailleurs, et c’est peut-être ce qui a été le principal moteur de ce projet, nous sommes en perpétuelle interrogation sur le sens que peut avoir l’interprétation de la « musique ancienne » aujourd’hui. Comment et surtout pourquoi la jouer pour un public contemporain alors que bien d’autres formes de musique existent sur le marché ? Le fait qu’un groupe de gens, au XVIIIe siècle déjà, se soit posé les mêmes questions que nous sur les musiques du passé est en quelque sorte rassurant et plein d’enseignements. Je suis par ailleurs très touché qu’un musicien comme Zamboni remue ciel et terre pour faire apprécier un art qui n’est plus à la mode à l’époque où il vit.
Ce ne sera d’ailleurs pas le seul programme de Faenza qui sort des limites de notre cher XVIIème siècle : un travail est en cours d’élaboration sur le répertoire de la Foire, à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles, et – qui sait ? –, peut-être reviendrons-nous un jour à nos premières amours : le répertoire médiéval. D’ici là, le milieu musical français aura certainement appris à déconstruire les grilles de lecture qui ont trop souvent tendance à enfermer les artistes dans des catégories étanches. J’ai toujours tenu à décloisonner les disciplines et à prouver que l’on pouvait créer en marge des courants officiels. D’où notre travail sur le spectacle musical (Les Voyages de Bellerofonte), les formes croisées (Métamorphoses) ou interactives (Le Salon de Musique) et, bientôt, sur le Théâtre de Foire, prototype de la lutte des artistes contre la tyrannie des institutions.
Une autre raison m’a poussée à mener ce projet à bout, avec la complicité indispensable des interprètes et celle de notre maison de disques : Zamboni (portrait ci dessus) n’a jamais réussi à faire publier ses madrigaux, malgré des tentatives répétées et probablement harassantes à l’âge qu’il avait atteint. C’est lui rendre justice que d’en proposer un enregistrement et, plus tard, une édition.
Je voudrais aussi signaler que ce travail a pu être mené à bien dans le cadre de notre résidence à l’Université de Reims Champagne-Ardenne : encore une expérience rare et inter-disciplinaire comme nous aimons les imaginer!
Entretien avec Marco Horvat, propos recueillis par Classiquenews en octobre 2015
Prochain concert de Marco Horvat, Faenza :
Paris (11ème ardt), Foyer de l’âme, le 11 novembre 2015, 20h : Madrigaux de Zamboni, le Monteverdi des Lumières